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piquillo alliaga.

— Bas les armes ! cria le sergent en s’avançant toujours : bas les armes !

Vu que les alliés n’en avaient pas, cette proposition n’avait, pour eux, rien de déshonorant ; mais ce qui commençait à les inquiéter et à jeter de l’indécision dans leurs mouvements, c’est que le sergent avait ordonné à ses troupes de croiser la hallebarde. Pour dérouter cette manœuvre, les deux généraux, bien sûrs de vaincre leur ennemi à la course, s’écrièrent :

— Sauve qui peut !

Le commandement fut à l’instant exécuté, et les coalisés faisant volte-face, s’élancèrent dans une rue qui était derrière eux ; par malheur cette prétendue rue n’en était pas une et n’en avait que l’apparence : c’était ce que de nos jours on appelle une impasse et ce que nos pères nommaient franchement un cul de sac ! dans ce défilé étroit, où presque toute l’armée alliée était venue s’engouffrer, la résistance était inutile : il n’y avait plus rien à espérer… pas même une déroute… car la fuite devenait impossible, et la victoire de Pérès était complète.

Il en usa avec plus de modération qu’on n’aurait pu le croire dans l’enivrement du triomphe ; peut-être aussi l’embarras de garder tant de captifs contribua-t-il, autant que la clémence, au parti généreux qu’il adopta ; il se contenta d’emmener prisonniers Piquillo et Pedralvi, et renvoya dans leurs foyers respectifs ceux qui en avaient. Quant à ceux qui n’en avaient pas, on les laissa libres sur parole et sur le pavé du roi.

L’intention du sergent était de conduire lui-même en lieu sûr les deux jeunes chefs de l’insurrection ; mais le jour baissait, et déjà l’on entendait retentir par toute la ville le son des clairons et des tambours municipaux. Le roi se disposait à faire son entrée aux flambeaux, et il n’y avait pas de temps à perdre pour gagner la Taconnera et se mettre en ligne avec sa compagnie ! Pérès chargea donc deux de ses hommes d’armes de conduire les deux prisonniers chez lui à l’hôtellerie du Soleil-d’Or, de les enfermer dans une cave vide qu’il désigna spécialement à cet effet, et de revenir au plus vite le rejoindre à l’endroit où la compagnie devait se tenir pour le passage de Sa Majesté.

Chargés des instructions de leur chef, qu’ils promirent d’exécuter avec célérité et intelligence, les deux hommes d’armes improvisés partirent, emmenant leurs prisonniers, dont ils répondaient corps pour corps.

Quant à nos deux héros, vaincus mais non découragés, ils marchaient en silence, échangeant seulement des regards qui voulaient dire : que faire ? qu’allons-nous devenir ? comment nous sauver ? Et Piquillo, il faut lui rendre justice, ne pensait point à lui dans ce moment ; il ne rêvait qu’aux moyens de délivrer son compagnon ! Mais quoiqu’il ne manquât ni de sagacité, ni d’esprit, ni d’audace, l’entreprise était presque impossible ; leurs gardiens les avaient pris, non pas au collet, ce qui, vu l’état délabré de leurs vêtements, aurait offert peu de prise et surtout peu de sûreté, mais, grands, forts el vigoureux, ils tenaient et serraient par le bras les deux jeunes enfants, dont l’un était faible et maladif, et dont les petites jambes avaient peine à suivre les pas rapides de son guide. Cependant, et dans un endroit de la rue où le soleil avait changé la boue en poussière, Piquillo feignit de trébucher et tomba une main en terre ; nous avons dit que de l’autre il était retenu par son gardien, qui le releva brutalement et avec une rude secousse ; mais en touchant le sol, l’enfant avait ramassé une poignée de poussière, que sa main fermée serrait précieusement, et, au détour d’une rue, il la lança dans les yeux du hallebardier qui tenait Pedralvi, en lui criant : Sauve-toi, frère ! Celui-ci ne se le fit pas dire deux fois et s’élança rapidement, en jetant sur son compagnon un regard de reconnaissance et de dévouement qui semblait lui dire : À bientôt !

Cette généreuse action valut au pauvre Piquillo une grêle de coups, non-seulement de son gardien, mais de celui de Pedralvi, qui, après s’être frotté les paupières, n’apercevant plus qu’un seul prisonnier, fit retomber sur lui toute la colère qu’il destinait à l’autre. Surveillé désormais par deux gardes au lieu d’un, aucune chance de salut ne pouvait plus s’offrir à Piquillo, et il arriva au Soleil-d’Or, où, conformément aux ordres du sergent, il fut écroué dans une cave dont les portes massives furent fermées sur lui à double serrure.

Les hallebardiers coururent rejoindre leur chef et lui faire part du succès de cette dernière expédition, en mettant, comme c’est l’usage dans toutes les relations de batailles perdues, l’échec qu’ils avaient essuyé sur le compte d’un hasard impossible à prévoir.

En ce moment, le cortége royal venait de franchir la porte de Charles-Quint, et entrait dans la ville de Pampelune au son des cloches, aux acclamations de la multitude, à la lueur des flambeaux qui entouraient les voitures et des feux qui étincelaient à toutes les croisées.

Des trompettes ouvraient la marche ; puis venait une partie de la cour. Les dames en carrosse d’apparat, et les premiers seigneurs du royaume couverts de superbes habits, et suivis de tous les gentilshommes de leurs maisons. Tous ces grands d’Espagne qui, autrefois, ne vivaient que dans les camps et sous les armes, infidèles à leur origine guerrière, ne menaient plus maintenant qu’une vie molle et fastueuse. Le ministre avait rappelé auprès du roi toutes les grandes familles que Philippe II avait reléguées dans leurs terres et dans leurs châteaux. Elles n’étaient rentrées à la cour que pour rivaliser entre elles de luxe et d’éclat ; afin de plaire au ministre et au roi, elles dépensaient en magnificences les revenus de leurs maisons ; conservant leur fierté, perdant leur indépendance, mais donnant à la cour de Philippe II un éclat factice jusqu’alors inconnu, mélange de faste et de cérémonial qui fit longtemps l’envie de toutes les cours de l’Europe et que ne surpassèrent même pas, depuis, les splendeurs de Louis XIV.

La foule saluait à leur passage les ducs de l’Infantado et de Médina de Rioseco, d’Escaluona, d’Osuna, puis les Médina Sidonia el les Gusman, tous ces grands noms, autrefois soutiens de la monarchie, aujourd’hui ornements de la cour.

Paraissaient ensuite les rois d’armes ; puis venaient