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piquillo alliaga.

Mais de la main, il montrait le ciel.

— Hésiter à perdre une rivale… une ennemie !… vous ne me connaissez pas ! Parlez, parlez, mes pères !…

Et le cœur de la comtesse battait d’émotion et de colère, et ses yeux semblaient lancer des éclairs.

— Ah ! elle est belle ainsi ! s’écria le père Jérôme.

— Très-belle, dit froidement Escobar ; mais vous disiez, mon révérend ?

— Je disais…

Et le supérieur, regardant toujours la comtesse, parlait lentement, s’arrêtait presque à chaque mot, et semblait vouloir moins fixer l’attention qu’irriter l’impatience de celle qui l’écoutait.

— Je disais… que, pour se défaire d’un ennemi… redoutable… et qu’on ne peut vaincre… il y a peu de moyens… À vrai dire… il n’y en a même qu’un seul.

— Lequel ? demanda la comtesse.

— Les saintes Écritures nous en offrent de nombreux exemples, répondit Escobar.

— Nous y voyons, continua le supérieur, des femmes pieusement intrépides, et que l’on traite d’héroïnes, tout braver pour perdre l’ennemi commun.

— Quelles sont ces femmes, ces héroïnes ? demanda la comtesse.

— Eh mais, dit le père Jérôme en ayant l’air de chercher dans sa mémoire, sans aller plus loin… Judith !

La comtesse se tut et regarda tour à tour les deux moines comme pour sonder toute l’étendue de leur pensée. Les deux pères baissèrent les yeux, et pendant quelques instants un silence profond régna dans la salle.

Ce silence, la comtesse le rompit en répétant d’une voix brève et incisive.

— Judith ? mes pères !

— L’exemple est mal choisi, s’écria le supérieur, car des armées ne sont point en bataille, et il ne s’agit point de tirer le glaive… j’ai voulu dire seulement…

— Je comprends… je comprends, dit la comtesse. Et vous pensez, mes pères, continua-t-elle en parlant