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piquillo alliaga.

— Qu’y a-t-il donc, sire ? demanda Fernand avec émotion.

— Il y a, monsieur, qu’un indigne complot a été ourdi contre nous !

— Contre vous, sire !

— C’est la même chose ! contre une amie intime de la reine, contre une personne que j’estime, que j’honore ! la duchesse de Santarem ; on veut la tuer !

— Aïxa ! s’écria Fernand pâle de terreur.

— Oui, dit Piquillo, ses jours sont en danger.

— Qui donc ose les menacer ? dit Fernand en portant la main à son épée. Parlez, sire, ordonnez ; où faut-il courir ?… tout mon sang, s’il le faut…

— Bien, Fernand, bien ! je te remercie, dit le roi en lui prenant la main ; mais calme-toi ; voilà tes traits bouleversés et ta main est glacée. Toi, du moins, tu es de ceux sur qui je puis compter, et que rien n’effraiera, car il s’agit, à ce que m’a dit ce jeune moine, de s’attaquer à des personnes des plus haut placées.

— Qu’importe ! nous les démasquerons ! s’écria Fernand.

— Nous arracherons Aïxa à ses ennemis ! continua Piquillo.

— Oui… oui, nous la sauverons ! dit le roi avec chaleur.

Pour quelqu’un qui aurait pu lire au fond des cœurs, c’était une étrange et curieuse situation que celle de ces trois hommes, de positions et de rangs si différents, qu’animaient en ce moment la même pensée, les mêmes craintes et le même amour ; ces trois hommes qu’une seule idée rapprochait, qu’un seul nom venait de rendre alliés, et qu’un mot de plus peut-être eût désunis et rendus ennemis.

— Parlez, parlez, répétaient le roi et Fernand à Alliaga, nommez-nous le coupable.

— Quel que soit son rang ou sa famille, ajouta le roi, je signe à l’instant l’ordre de l’arrêter.

— Et moi, disait Fernand, je l’exécuterai, cet ordre, au milieu même de la cour ; et quand vingt épées devraient briller pour défendre le coupable, parlez ! parlez ! nommez-le !

Et Piquillo se taisait.

En entendant Fernand s’exprimer ainsi, une foule d’idées auxquelles il n’avait pas pensé d’abord étaient venues l’assaillir. Ces coupables qu’on le pressait de nommer, ce n’étaient pas seulement le père Jérôme et Escobar, qui avaient conseillé le crime, c’étaient encore la comtesse d’Altamira et le duc d’Uzède, qui s’étaient chargés de le commettre. La comtesse était la tante de Fernand d’Albayda et de Carmen ; c’était la sœur de don Juan d’Aguilar.

L’accuser, c’était livrer à la honte et au déshonneur la famille à laquelle, lui, Piquillo, devait tout ! Et quant au duc d’Uzède, complice de la comtesse, quelque coupable qu’il fût, Dieu seul pouvait savoir si Piquillo, en le faisant condamner, ne devenait pas plus criminel que lui.

— Sire, dit-il, et vous, Fernand, daignez m’écouter. J’espère que vous ne douterez point de la vérité de mes paroles. J’atteste, comme homme, et comme prêtre, ajouta-t-il en tressaillant, puisque les vœux que j’ai prononcés m’en imposent les devoirs, j’atteste devant Dieu et devant vous que je connais tous ceux qui ont tramé ce complot, et que je ne puis les nommer.

— Eh ! qui donc vous en empêcherait ? s’écria Fernand avec colère.

Alliaga regarda son ami et lui répondit :

— Mon devoir… des raisons sacrées !…

— Auriez-vous appris ce secret par la confession ? dit le roi.

— Oui….. oui, sire, s’écria Piquillo en saisissant cette idée ; c’est ainsi que j’ai connu ces projets.

— Comment alors protéger Aïxa ? reprit Fernand.

— Qui veillera sur la duchesse ? s’écria le roi.

— Moi !.. moi seul ! répondit Piquillo, si vous daignez le permettre. Je jure de la sauver ou de mourir !

— Et qui donc êtes-vous pour elle ? demanda le roi d’un air inquiet.

Fernand alors expliqua à Philippe les liens de parenté qui existaient entre Aïxa et le jeune moine ; l’affection du roi en redoubla pour celui-ci, et il s’écria :

— Je vous donnerai un acte signé de moi approuvant d’avance les mesures que vous prendrez pour déjouer et combattre les ennemis de la duchesse.

— L’essentiel, répondit Piquillo, c’est que je sois sans cesse près d’elle, afin de veiller à tous les instants, et cette surveillance devient impossible si les vœux que j’ai prononcés m’obligent à rentrer dans un couvent, si de nouveau je suis enfermé sous les grilles d’un cloitre…

— J’entends qu’il soit libre ! dit le roi.

— Qu’il réside ici, à la cour, ajouta Fernand.

— Pour cela, continua le monarque, il faudrait un titre qui ne le rendit dépendant que de moi…

— Qui l’attachât à la chapelle de Votre Majesté… à votre aumônerie.

— Il n’y a point de place vacante, et en créer une nouvelle, ce serait exciter les réclamations du grand inquisiteur, ce serait toute une guerre à soutenir… sans compter que cela éveillerait les soupçons.

— Il y a une place dans la maison de la reine, dit vivement Fernand ; son premier aumônier est mort.

— C’est vrai, c’est vrai ! répéta le roi avec joie… Mais, poursuivit-il d’un air découragé, cela dépend toujours du grand inquisiteur, et surtout du duc de Lerma, qui nomme à tous ces emplois-là… Or, je sais qu’il a déjà promis formellement cette place au duc d’Uzède, son fils, pour je ne sais quel protégé.

— Si ce n’est que cela, reprit timidement le jeune moine, je me fais fort de l’obtenir.

— Vous, Piquillo ! s’écria Fernand.

— Vous ! dit le roi ; forcer le duc de Lerma à manquer de parole à son fils, et surtout lui faire faire ce qu’il ne veut pas ! je n’oserais le tenter, moi… le roi !

— Et moi, continua Piquillo toujours d’un air timide et modeste, si Votre Majesté le permet, j’espère réussir. Le roi et don Fernand le regardèrent avec étonnement.

— Soit, dit Philippe, vous pouvez sur-le-champ vous mettre à l’œuvre… Voyez-vous au bout de cette longue allée ce grave personnage qui vient à nous ?.. c’est le duc de Lerma qui sort de son appartement.

— Où il s’est reposé, se dit Piquillo en lui-même,