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piquillo alliaga.

Le barbier désolé et tournant le dos au prieur, montra lestement une petite lettre qu’il cachait dans sa main.

— Celle d’aumônier de la reine.

Le duc, cherchant à cacher son embarras, répondit avec hésitation :

— Certainement, je le voudrais… mais cela ne dépend pas de moi… cela dépend du grand inquisiteur. Vous êtes de son ordre, à ce qu’on m’a dit : l’ordre de Saint-Dominique ; mais c’est depuis si peu de temps ! depuis quelques jours, je crois ?…

— De ce matin seulement.

— Et vous demandez une des premières places de la cour… Il faudrait, pour cela, avoir rendu des services…

— Je n’ai pas achevé, monseigneur !

— Quoi ! ce que vous venez de m’apprendre…

— Était de peu d’importance, dit froidement Piquillo, et n’avait rien d’extraordinaire. Il s’agissait seulement d’un ministre à renverser et d’un fils ingrat ! Des ministres, on peut en trouver… et des ingrats, il y en a partout, ajouta-t-il en regardant le duc, qui baissa les yeux. Ce qui me reste à vous faire connaître est-bien autrement important, car il s’agit du salut de l’Espagne.

— Que voulez-vous dire ?

— Que l’Espagne est perdue si vous ne vous hâtez, et peut-être déjà est-il trop tard.

Piquillo déroula alors au ministre, en détail et avec une clarté parfaite, tous les dessins de Henri IV, desseins dont le duc ne se doutait même pas ! Sécurité tellement incroyable (si l’histoire n’était pas là pour l’attester) qu’il n’y avait pas un seul préparatif de défense pour repousser la ligue formidable qui menaçait l’Espagne ; pas un vaisseau en état, pas une armée sur pied, pas même un corps de troupe pour protéger la frontière. Et le plan de Henri IV commençait déjà à s’exécuter : toute la Savoie était en armes ; Lesdiguières, avec douze mille hommes, avait déjà envahi le Milanais. Henri IV n’attendait plus, pour entrer en campagne, que les contingents des princes allemands.

Le duc, pâle et respirant à peine, cherchait vainement à cacher son trouble à Piquillo. Jamais impré-