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piquillo alliaga.

Les jours s’écoulaient, et bientôt allait arriver celui qui devait être le dernier !


LII.

l’oratoire.

À mesure que la reine approchait du terme fatal, les bruits les plus étranges, les plus sinistres et les plus contradictoires circulaient à la ville, à la cour, et même dans toute l’Espagne.

L’archevêque de Valence Ribeira, l’inquisiteur Sandoval et tous les membres ou affiliés du saint-office répandaient partout que la vengeance céleste s’était étendue sur la reine ; qu’une maladie si prompte, que personne ne pouvait expliquer ni comprendre, indiquait évidemment le doigt de Dieu. Dieu avait voulu punir Marguerite de la protection que pendant sa vie elle avait accordée aux hérétiques, les Maures d’Espagne.

D’un autre côté, un bruit non moins odieux se répandait, surtout parmi le peuple : chacun assurait que c’était le duc de Lerma lui-même, le premier ministre, qui, de sa propre main, avait empoisonné la reine ; qu’elle seule s’opposait à son projet favori, l’expulsion des Maures, et qu’il aurait toute liberté d’agir une fois qu’elle ne serait plus !

On racontait à ce sujet des circonstances, des détails extraordinaires et positifs.

Ce bruit avait été semé avec tant d’art et d’ensemble, qu’à coup sûr ce n’était pas là une calomnie éclose par hasard, mais une accusation méditée, combinée, et mise en circulation par des gens habiles et qui s’y connaissaient.

Les bons pères de la Société de Jésus n’étaient pas étrangers à ces sourdes menées.

Ils avaient répandu ce bruit dans les basses classes, où il avait été accueilli avec empressement et enthousiasme, vu l’intérêt qu’inspirait la reine, et surtout la haine que l’on portait au ministre.

La comtesse d’Altamira, tout en traitant ces nouvelles d’absurdes et d’infâmes, avait contribué à les propager dans les salons et les premières maisons de Madrid, où on ne les connaissait pas encore.

Ces calomnies avaient déjà pris tant de consistance, que le duc de Lerma, en se rendant au conseil, avait été insulté ; de la boue et des pierres avaient été lancées contre sa voiture ; quoique complètement innocent du crime dont on l’accusait, le ministre en était profondément affligé, mais les embarras dont il était accablé en ce moment, les dangers qui le menaçaient à l’extérieur du royaume et dans l’intérieur même de sa famille, tout l’empêchait de remonter à la source de ces bruits, pour en découvrir et en punir les auteurs.

En attendant, ces calomnies circulaient avec d’autant plus de rapidité, que lui et les siens avaient contribué à les rendre vraisemblables. C’était, en effet, au moment même où la reine commençait à ressentir les atteintes du mal qui la conduisait au tombeau, que Sandoval, revenant à ses anciens projets, avait envoyé à Valence des troupes contre les Maures.

Tout se disposait pour un coup d’État. Le vieux Delascar d’Albérique avait trop d’amis dans sa province pour n’être pas promptement averti de tout ce qui se passait ; aussi, sans les deviner encore, il pressentait les mauvaises intentions de l’inquisiteur et du ministre.

C’est dans ce moment-là qu’il avait écrit à son fils Yézid de revenir près de lui ; tous les deux avaient acquis la preuve qu’on pouvait agir à l’improviste, surprendre la signature du roi et publier l’ordonnance d’exil, sans que personne eût pu s’en douter. Il fallait déjouer promptement le danger, prévenir Piquillo pour qu’il prévînt la reine, et cela sans éveiller les soupçons de Sandoval ou du ministre.

Yézid partit de nuit.

Il devait à peine rester à Madrid, ne voir que le seul Piquillo et la reine, et revenir sur-le-champ, pour que leurs ennemis ne fussent pas même instruits de son voyage et qu’il leur fût impossible de deviner la main qui venait encore une fois de renverser leurs projets.

Yézid arriva de bon matin à Madrid. Admis pendant plus d’un mois au palais et dans les appartements particuliers de la reine, il savait, comme Aïxa, les moyens d’y arriver : c’était par l’escalier secret qui conduisait chez Juanita. Celle-ci fut stupéfaite en le voyant entrer, le matin, dans l’oratoire de la reine, où elle mettait tout en ordre.

— Vous, seigneur Yézid ! Vous à Madrid !

— Silence ! Juanita ! il faut que tout le monde l’ignore, excepté Piquillo et toi.

— Quand êtes-vous arrivé ?

— À l’instant mème, à cheval, avec Pedralvi, que tu trouveras chez Aïxa, ma sœur, à l’hôtel de Santarem.

— Pedralvi est ici ! s’écria-t-elle avec joie. Et pour longtemps ?

— Le temps de t’embrasser… Va vite,

Juanita y courait. Il l’arrêta en lui disant :

— Mais auparavant, il faut que tu me fasses parler à Piquillo.

— Ce n’est pas difficile, dit-elle en lui montrant une porte à droite qui donnait dans l’oratoire, c’est là qu’il demeure à présent.

— En vérité !

— Oui, la reine, qui est bien malade, l’a voulu ainsi.

— Bien malade ! dit Yézid en pâlissant.

— De ce côté, continua Juanita en montrant la porte à gauche, sont les appartements de la reine ; ici, son oratoire… et désignant du doigt un grand meuble en bois d’ébène qui occupait tout le fond de la chambre et qui s’ouvrait par une petite grille en bronze doré, recouverte en dedans d’un rideau violet, — ceci est le confessionnal de Sa Majesté, et Piquillo, dont elle ne peut plus se passer, demeure de ce côté, pour être toujours prêt à accourir au premier appel de la reine.

— Bien… Je vais chez Piquillo.

Mais la porte qui conduisait chez ce dernier était fermée à clé en dedans.

— Il prie peut-être, dit Juanita.

Elle frappa légèrement, on ne répondit pas. Elle frappa plus fort, même silence.

— Il sera sorti, dit Juanita, Quelquefois, le matin, il