Page:Scribe - Piquillo Alliaga, ou Les Maures sous Philippe III, 1857.djvu/260

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
254
piquillo alliaga.

se promène seul dans le parc… Nous l’y trouverons ; venez.

— Tu oublies, répondit Yézid, que je ne dois pas être vu. Je viens pour parler à Piquillo et à la reine, mais il est nécessaire qu’on l’ignore.

— Eh bien ! restez ici, dans quelques minutes, un quart d’heure au plus, Piquillo sera revenu de sa promenade au parc. Pour en être plus sûre, je cours le chercher et le prévenir… moi, je n’ai pas peur d’être vue !

— Bien ! va vite, je t’attendrai ici.

Juanita allait sortir par la porte qui donnait sur les appartements de la reine, quand on entendit très-distinctement la voix de la comtesse d’Altamira. Elle se dirigeait vers l’oratoire.

— Tout est perdu, dit Yézid… elle va me voir… à une pareille heure… ici, dans l’oratoire de la reine !

Quel parti prendre cependant ? Il n’y avait que deux issues : l’une, la chambre de Piquillo ; elle était fermée… et l’autre porte en face était justement celle par laquelle arrivait la comtesse.

— Il n’y a qu’un moyen, dit vivement Juanita en ouvrant la petite grille en bronze doré ; là, dans le confessionnal.

— Si on me voit ?

— On ne vous verra pas, en tirant ainsi le rideau de taffetas violet ; entrez donc vite ! on approche !

— Mais, dit Yézid en reculant d’un pas, c’est là la place d’un prêtre chrétien !

— Qu’importe, pour un instant !

Yézid hésitait encore ; il lui semblait que lui, Maure, commettait dans sa religion un sacrilége en s’asseyant à cet endroit que les chrétiens appellent le tribunal de la pénitence. En ce moment, la comtesse ouvrait la porte de l’oratoire. Juanita poussa Yézid dans le confessionnal, et referma vivement la grille sur lui… Quelque promptitude qu’elle y eût mise, la comtesse avait vu en entrant, non pas Yézid, mais la grille qui se refermait.

La comtesse avait rencontré Marguerite qui se rendait ou plutôt qui se traînait, tant elle était faible, vers son oratoire. La reine préférait être seule, mais la comtesse avait mis tant d’instances à offrir son bras à Sa Majesté, que celle-ci, qui ne savait ni refuser ni mécontenter personne, avait accepté malgré elle. Elle arrivait donc, appuyée sur le bras de la comtesse, au moment où celle-ci s’écria en regardant Juanita et en désignant du doigt le confessionnal :

— Qu’est-ce ? Qu’y a-t-il ? Qui est là ?

Juanita, prise à l’improviste, n’hésita pas un instant. Avec cette présence d’esprit et ce sang-froid admirables que les femmes seules possèdent, elle répondit :

— Le frère Luis Alliaga, qui venait d’entrer et qui s’est mis en prière.

— Silence ! reprit la reine ; ne le troublons pas. Je l’avais aperçu, en effet, de mes fenêtres, se promenant tout au bout du parc, et j’avais envoyé un de mes pages le prévenir que je l’attendais ici.

— Cela se trouve bien, dit Juanita en elle-même, cela me dispensera d’y aller, et je verrai plus vite Pedralvi.

La reine, sans proférer un mot, fit signe à Juanita et à la comtesse de la laisser. Toutes les deux sortirent en silence par les appartements de la reine.

Marguerite était seule ; mais Yézid l’ignorait, et n’osait ni parler ni faire un geste croyant que la comtesse était restée dans l’oratoire et priait à côté de la reine. Un autre danger aussi l’effrayait. Il venait d’apprendre que la reine avait fait prévenir Piquillo ; celui-ci allait donc arriver, et à sa vue qu’allait devenir le mensonge de Juanita ? Qu’allait dire la comtesse en voyant entrer, par cette porte, à droite, ce frère Luis Alliaga qu’on lui avait dit être déjà installé dans le confessionnal ?

En proie à ses angoisses, il ne savait quel parti prendre, craignant également de parler et de se taire, de rester caché ou de se montrer. Tout à coup, à sa droite, et près de la petite grille intérieure, il entendit quelqu’un tomber à genoux et lui dire à voix basse :

— Mon père !

Cette voix c’était celle de la reine, mais si faible, si étouffée, qu’à peine on pouvait l’entendre, ce qui confirma Yézid dans l’idée que la reine n’était pas seule dans son oratoire et que la comtesse y était restée.

Pâle et interdit, il garda le silence, prêt à s’évanouir aux accents de cette voix si chère qui le faisait frissonner de terreur et d’amour.

— Mon père, disait-elle, je voulais… je ne puis tarder davantage à vous dire le secret qui m’accable… demain il n’en serait plus temps… je n’en aurais pas la force. Je suis bien coupable !… j’aime !.. oui, j’aime, en secret, en silence… et depuis bien longtemps. Mais cet amour involontaire, je l’ai combattu, j’ai résisté… personne ne l’a su, pas même lui !… et je me disais : Dieu me le pardonnera peut-être ! Mais ce qu’il ne me pardonnera pas, murmura-t-elle en baissant la tête, et voilà ce qui me fait trembler, c’est que celui que j’aimais… que j’aime toujours… est un Maure ! un ennemi de notre foi…

En ce moment le bruit d’une porte qui s’ouvrait à : droite interrompit la reine.

Elle leva la tête et poussa un cri d’effroi… Celui qu’elle voyait entrer c’était Piquillo !

Elle se leva hors d’elle-même, comme égarée, comme maudite, et saisie d’une horrible crainte qui lui rendit un instant toute sa force, elle courut se jeter dans les bras de Piquillo.

— Qu’avez-vous, madame, qu’avez-vous, de grâce ! dit celui-ci, effrayé de sa terreur et de la crise convulsive à laquelle il la voyait en proie.

— Vous, Alliaga ! répétait-elle avec égarement, vous ! mais alors, se disait-elle en elle-même en portant la main à son front et en regardant du côté du confessionnal, qui donc… là… tout à l’heure… a entendu…

Alors et à travers les barreaux de la grille de bronze doré, une main tremblante jeta une fleur de grenade desséchée qui tomba aux pieds de la reine.

Une lueur d’espoir se glissa dans son âme ; mais ne pouvant n’osant croire à l’idée qui s’offrait à elle, elle s’écria :

— Non ! non ! c’est impossible !

Pendant la minute, la seconde qu’avait duré cette scène, Piquillo, occupé à soutenir Marguerite, n’avait rien vu. Il la déposa sur un fauteuil et s’élança vers