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piquillo alliaga.

la porte à gauche pour appeler au secours de la reine Juanita et ses femmes.

À peine avait-il disparu, que Marguerite, décidée à connaître son sort, dût-elle mourir de honte de son secret trahi, Marguerite courut à la porte du confessionnal, et malgré elle poussa un cri de joie.

C’était Yézid !

Yézid, qui tomba à genoux en s’écriant, comme autrefois Marguerite dans le souterrain du Val-Paraiso :

— Dieu seul ! Dieu et moi ! ce sera le secret de ma vie !

— Ce sera celui de la tombe ! dit Marguerite.

On entendait revenir Alliaga et les femmes de la reine ; elle montra vivement à Yézid la chambre de Piquillo.

— Là… là… lui dit-elle.

Yézid s’élança et referma sur lui la porte.

En ce moment entraient Alliaga et les femmes qui l’accompagnaient. Trop faible pour résister à tant d’émotions, Marguerite tomba évanouie dans leurs bras.

Elle ne se releva plus !

Le soir même, les cloches funéraires retentissaient dans toutes les paroisses de Madrid, Tout un peuple, prosterné sur la pierre des églises, priait pour sa souveraine.

Étendue sur son lit de mort, la reine d’Espagne avait fait signe de la main d’éloigner toute cette foule de dames et de seigneurs qui se pressaient autour d’elle pour la voir mourir… ils s’étalent tous retirés au fond du vaste appartement… et serrés sur un triple rang, ils la contemplaient de loin, mais ne pouvaient l’entendre.

Penché vers elle, un jeune prêtre dont le figure était inondée de pleurs pouvait à peine parler, tant la douleur le suffoquait ; mais de la main il montrait le ciel.

— Vous croyez donc que Dieu me pardonnera ? disait elle à celui qui venait de l’écouter. Et le prêtre lui répondit :

— Maures et chrétiens sont tous enfants du même Dieu, et Dieu n’a maudit aucun de ses enfants, Celui-là était digne de vous, car il vous révérait, il vous adorait comme on révère la vertu, comme on adore les anges ! Votre amour à tous deux n’a pas été un crime, mais une longue souffrance, une lutte, un combat où vous n’avez point succombé. Dieu pardonne à ceux qui souffrent ! s’écria-t-il avec un accent de conviction et d’espérance ; Dieu récompense ceux qui combattent et qui sont vainqueurs !

La reine le remercia du regard, et lui montrant la turquoise qu’elle portait au doigt, elle lui dit à voix basse :

— Je ne peux pas la garder… prenez-la, et rendez-la… à lui !

Elle fit signe à ses femmes d’approcher. Aïxa, Juanita et Carmen se jetèrent à genoux près de son lit. Ranimant ses forces éteintes pour protéger encore ses amis, elle murmura à l’oreille d’Aïxa ;

— Prends garde… pour toi et les tiens. Moi morte, vous n’aurez plus personne pour vous défendre. Et la persécution, l’exil, vous menacent, je le sais.

Alors, élevant la voix, elle demanda qu’on avertit le roi : elle voulait le voir, lui parler. On s’empressa d’exécuter ses ordres, et elle continua :

— Je veux, à mon lit de mort, et c’est tout ce que je peux maintenant pour vous, mes amis, je veux lui faire jurer, devant Dieu et devant vous, que jamais il ne consentira… que jamais il ne signera l’arrêt de bannissement.

C’était trop d’efforts pour elle, la voix expira sur ses lèvres, une sueur froide couvrit son front, et pendant qu’Aïxa s’efforçait de rappeler un reste de vie prête à à s’éteindre, toutes les portes du palais s’ouvrirent.

Le grand inquisiteur Sandoval, en habits pontificaux, les principaux membres du saint-office et du clergé de Madrid apportaient en grande pompe le saint sacrement : le roi, le jeune prince des Asturies et sa jeune sœur, Anne d’Autriche, marchaient derrière le clergé.

Le cortége s’étendait jusque sur l’escalier et dans les cours du palais. De longues files de moines portant des flambeaux psalmodiaient les prières des agonisants.

Aïxa et ses compagnes se retirèrent à l’écart ; mais pour Piquillo, il se tint debout, à son poste, près du chevet de Marguerite.

La cérémonie funèbre commença.

Le grand inquisiteur s’approcha de la reine, qui n’avait pas repris connaissance. Il récita les prières accoutumées, et répandit sur son front l’huile sainte. En ce moment Marguerite ouvrit un instant les yeux, et n’apercevant autour d’elle que des figures froides et glacées, elle se détournait avec terreur ; mais son regard rencontra celui de Piquillo, et remerciant l’ami qui saluait son départ, son âme consolée quitta la terre et s’éleva vers le ciel.

Un grand cri retentit dans le palais, et se prolongea au dehors.

Les prêtres s’inclinèrent, la foule tomba à genoux, et Alliaga, étendant sa main vers la reine, s’écria d’une voix forte :

— Ange descendu des cieux, remontez vers votre patrie !


LIII.

la révélation.

La mort de la reine se répandit bientôt dans toute l’Espagne. Aïxa et Piquillo l’apprirent à leur père, car Yézid, livré au désespoir, n’était plus capable de rien, pas même d’être consolé.

Delascar d’Albérique et les siens se regardaient tristement et ne prévoyaient que trop les malheurs qui allaient fondre sur eux. La perte de Marguerite était celle de toutes leurs espérances : qui oserait maintenant les protéger ? Ils étaient livrés à leurs ennemis, et les cloches funéraires qu’ils entendaient retentir sonnaient à la fois la mort de la reine et leur destruction totale.

Quelque temps cependant s’écoula sans qu’aucun danger apparût et sans que leur tranquillité fût troublée.

Nous en connaissons la raison.

Le duc de Lerma, tremblant pour l’Espagne et sur-