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piquillo alliaga.

fort : de plus, il en avait eu la preuve, c’était l’ennemi mortel du père Jérôme et d’Escobar.

L’inquisiteur l’accepta, car c’était un dominicain, et le roi, déjà effrayé d’avoir montré tant de courage, n’eut garde de le refuser, car c’était le frère d’Aïxa, secret connu de lui seul et de don Fernand.

Ce fut ainsi, et comme l’attestent tous les historiens contemporains[1], que frey Luis Alliaga, sans le vouloir et sans même y penser, arriva, par le duc de Lerma, à la place de confesseur du roi, place inoffensive avec lui et si redoutable avec un prêtre intrigant.

Aussi Escobar, se voyant encore une fois supplanté par Piquillo, malgré les bonnes intentions du roi et la protection du duc d’Uzède, commença à croire qu’il y avait mauvaise volonté de la part de celui-ci.

Dès ce moment commença entre les anciens alliés une mésintelligence que le ministre prit soin d’augmenter, et qui, ainsi qu’on le verra, ne tarda pas à éclater.

En attendant, Piquillo était confesseur du roi ; il était dans sa destinée de s’élever par ses ennemis et de leur devoir sa fortune.

Le grand inquisiteur promit à son tour au duc de Lerma de favoriser plus tard, et de toute son influence, le bannissement des pères de la Compagnie de Jésus. Tout l’y portait, son inclination, son intérêt et l’amitié qu’il avait pour son frère, mais il voulait qu’avant tout on s’occupât de l’expulsion des Maures, et il employa un dernier argument qui décida sur-le-champ le ministre :

Le chapeau de cardinal que le duc avait sollicité de la cour de Rome, et que les intrigues du père Jérôme l’avaient jusqu’ici empêché d’obtenir, ce chapeau, objet de tous ses vœux, avait été formellement promis par le pape le jour où les Maures seraient chassés d’Espagne, et jamais les circonstances n’avaient été plus favorables. Tous les obstacles semblaient d’eux-mêmes s’aplanir à la mort de la reine, qui laissait leurs ennemis sans protection aucune ; la paix avec la France, qui leur permettait de disposer de toutes les forces militaires de l’Espagne et de les concentrer, en cas de résistance, sur les provinces de Valence et de Grenade ; enfin, les services rendus récemment par le ministre et qui lui donnaient le droit de tout exiger.

Il fallait donc se hâter de présenter au roi le décret de bannissement et l’engager à le signer.

Il y avait un obstacle, il est vrai, l’amour du roi pour Aïxa ; mais le roi avait ignoré jusqu’ici que celle qu’il aimait fût une Maure ; on pouvait bien le lui cacher encore, et s’il venait à le découvrir, trois moyens restaient : gagner Aïxa, ou la perdre, ou enfin effrayer le roi, en opposant à sa maîtresse la cour de Rome, et à son amour l’excommunication.

Le jeune roi, qui ne se doutait pas des nouvelles inquiétudes et des nouveaux combats qui allaient l’assaillir, se trouvait déjà bien malheureux. Jamais il ne s’était vu dans une position pareille. Forcé de subir, bien plus, d’approuver et de louer avec tout le monde un ministre qu’il n’aimait plus, qu’il craignait et qu’il regardait comme coupable, comment maintenant lui faire son procès ? le roi ne l’avait pas osé la veille de sa chute, à plus forte raison le lendemain de son triomphe.

Il ne pouvait même pas, quoique l’envie commençât à lui en venir, destituer un ministre qui venait de sauver l’Espagne, mais peu habile à dissimuler, il n’avait pu cacher à son favori, qui du reste s’en était aperçu, l’espèce d’éloignement et de crainte instinctive qu’il éprouvait pour lui. Mais ses craintes, ses tourments, ses humiliations, à qui les confier ? Il regardait autour de lui et ne se voyait pas un ami. Il était seul au milieu de la cour.

Pour comble de maux, il aimait Aïxa plus que jamais, et depuis qu’il ne la voyait plus, son amour avait redoublé, indifférent aux destinées de l’État, dont il avait abandonné les rênes, il ne rêvait plus qu’aux moyens de se rapprocher de la seule personne qui lui fût chère.

C’est dans ce moment qu’il reçut d’elle une demande d’audience ; Sa Majesté ne la fit pas attendre.

Au moment où entra la duchesse de Santarem, le roi pâlit, et son trouble fut si visible qu’Aïxa elle-même en fut déconcertée.

— Qu’avez-vous à me demander, madame la duchesse ? Parlez, Que me voulez-vous ?

— Remercier Votre Majesté de toutes les bontés dont elle m’a comblée, et lui faire mes adieux.

— Vous partez, vous ! dit le roi.

Il resta interdit et murmura avec un air de profonde douleur :

— Je suis bien malheureux !

— Vous, sire ?

— Oui, depuis quelques jours, tout semble m’accabler… C’est là le dernier coup.

— En vérité, sire, je ne puis croire à ce que vous me dites là. Mon départ est un événement de si peu d’importance !

— Écoutez-moi, duchesse.

Il s’arrêta, comme s’il luttait contre sa timidité ; puis, rassemblant tout son courage, il lui dit d’une voix qu’il essayait de rendre ferme, et qui tremblait d’émotion :

— Je vous aime !….. Oui… oui… c’est la première fois que ce mot sort de ma bouche… mais il ne vous a rien appris.

Aïxa avait trop de franchise et de loyauté pour chercher de vains détours : elle se contenta de garder le silence, et le roi reprit :

— Oui, vous savez bien que je vous aime, et vous comprendrez alors combien ce départ m’afflige. Je n’avais aucun plaisir, aucun bonheur… que celui de vous voir.

— Et depuis longtemps, sire, depuis la mort de la reine, je ne venais plus à la cour.

— Avez-vous besoin de le dire, et croyez-vous que je ne m’en sois pas aperçu ? j’ai si peu d’amis que quand il ne m’en manque un, il ne m’en reste plus. Voilà ce que j’ai éprouvé en votre absence ! Vous n’étiez plus là, c’est vrai, mais je vous savais à Madrid… Je pouvais

  1. Le duc de Lerma s’imagina de tirer d’un couvent le moine Louis Alliaga, qu’il introduisit à la cour et fît nommer confesseur du roi ; homme obscur, mais d’une probité reconnue. (Watson, Histoire de Philippe III, vol. 2, liv. 6, page 289).