Page:Scribe - Piquillo Alliaga, ou Les Maures sous Philippe III, 1857.djvu/275

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
269
piquillo alliaga.

lui parlerai du projet qui m’amène. Il s’agit des Maures, vos sujets.

Le roi n’écouta pas.

— Le mémoire que j’ai eu l’honneur de remettre à Votre Majesté…

— Bien, monsieur l’archevêque, je le lirai, dit le roi avec une froideur glaciale.

Et prenant le mémoire qui était sous sa main, il le jeta plus loin sur une pile de papiers indéfiniment ajournés.

— Dans ce mémoire, dit l’archevêque un peu troublé, j’avais l’honneur d’exposer à Votre Majesté…

Le roi se leva, marcha dans la chambre d’un air agité, et oubliant totalement l’archevêque, se mit à rêver à Aïxa.

Le prélat commença à comprendre sa faute, et sentit qu’il avait commis la même maladresse à l’égard du roi, que celui-ci à l’endroit de son mémoire.

Or, comme c’était là la principale affaire de sa vie, et qu’il tenait à son projet autant que le roi tenait au sien, il pensa, comme le frère Escobar, qu’en raison de l’intention, une transaction était permise, et que telles affaires impossibles séparément devenaient, en se réunissant, d’une exécution facile.

Il toussa assez fortement pour rappeler l’attention du roi, alors totalement absente, et dit d’un air mielleux :

— Je suis pour ce que j’en ai dit…

— Et qu’avez-vous dit ? demanda brusquement le roi.

— Je suis fâché que Votre Majesté n’ait pas lu mon mémoire.

Le roi haussa les épaules avec impatience.

— Votre Majesté y aurait justement vu un article qui se rapporte à la question qu’elle a d’abord daigné me soumettre.

— En vérité ! reprit le roi en se rapprochant du prélat.

— Il y a tel projet dont la pensée première peut ne pas être irréprochable, et qui le devient par la manière dont il est exécuté. Permettez-moi donc, sire, de conserver la franchise de mes opinions et ma liberté de conscience.

— Je permets, dit vivement le roi.

— Je n’approuve pas, je l’ai dit, le mariage que désire Votre Majesté. Il excitera les réclamations du peuple et de la noblesse, et je ne sais mème pas jusqu’à quel point il sera agréable à Dieu.

Le roi commençait à donner des signes d’impatience ; aussi le prélat s’empressa-t-il d’ajouter à voix haute :

— Mais…

Le roi se calma.

— Mais si l’on commençait par conquérir l’approbation des hommes et l’agrément du ciel par une œuvre grande, pieuse et désirée de tous, par une œuvre utile à la religion comme à l’État, oh ! alors, sire, permettez-moi de vous le dire avec la même franchise, ce serait bien différent.

— J’entends, dit le roi.

— On trouverait tous les esprits disposés à accueillir les idées de Votre Majesté, on penserait qu’après avoir assuré le bonheur de ses sujets, il lui est permis de penser au sien, et je vais plus loin, si quelques-uns blâmaient encore, si quelques casuistes rigoureux osaient dire qu’il y a faute, on répondrait, et moi tout le premier : Non, il n’y a pas faute, car elle était expiée ; dès qu’il y a expiation, il n’y a plus faute. Or, nous avons ici expiation, bien mieux, expiation d’avance, ce qui fait que la faute est effacée avant même d’être commise.

— J’entends, répétait le roi avec joie, quoiqu’il ne comprit pas parfaitement.

— Ainsi, continua le prélat avec chaleur, si Votre Majesté approuvait les idées contenues dans ce mémoire…

— Je les approuve, s’écria le monarque, et de confiance : ne viennent-elles pas de vous !

— Si Votre Majesté consentait à signer, et le plus tôt possible, ce décret si ardemment, si impatiemment attendu de tous…

— Je signerai tout ce que vous voudrez… je vous le promets.

— Et moi, j’ose promettre à Votre Majesté que son mariage, approuvé par le grand inquisiteur et le saint-office, obtiendra l’approbation générale de ses sujets et la bénédiction du ciel.

— Je consens ! je consens ! s’écria le monarque au comble de ses vœux, à condition que vous vous chargerez de tout auprès du ciel, auprès de Sandoval, et mème auprès du duc de Lerma, avec qui je ne voudrais pas, en ce moment, avoir à traiter un pareil sujet.

— Je me charge de tout, répondit le prélat radieux.

— Et le plus tôt possible.

— Je le promets à Votre Majesté, et ne lui demanderai plus qu’une seule chose.

— Laquelle ?

— C’est de lire mon mémoire.

— À l’instant même.

Et le roi, rappelant le malheureux manuscrit de l’exil qu’il lui avait imposé, s’empressa de l’ouvrir au moment où le prélat s’éloignait.

Mais dès la première page, il en abandonna la lecture et se mit à penser avec ivresse à la duchesse de Santarem et à la surprise qu’il allait lui causer le jour où elle viendrait, selon sa promesse, pour prendre congé de lui.


LVI.

la signature.

Quant à l’archevêque de Valence, laissant le roi tout entier à ses rêves d’amour et de bonheur, il courut au palais du saint-office, où il trouva Sandoval et le duc de Lerma réunis.

— Eh bien ! s’écria-t-il avec un sourire orgueilleux, la cause du ciel est gagnée. Pendant que vous délibérez, je combats : pendant que vous cherchez les moyens de vaincre, je triomphe ! Le roi a reçu mon mémoire, et l’expulsion des Maures est décidée ; le roi signera le décret de bannissement aussitôt qu’on le voudra, et le plus tôt possible, ce sont ses propres expressions.

L’inquisiteur et le ministre restèrent stupéfaits et