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piquillo alliaga.

du Seigneur ; Molina Chinchon n’a pas fait le sien comme sergent. Il ira demain, pour quinze jours, au cachot, et en attendant, dit-il à l’alguazil, ordonnez-lui de ma part de se remettre en route avec ses prisonniers.

— Mais le peuple va les massacrer ! s’écria Alliaga.

— Cela regarde le sergent, qui en répond et qui doit les conduire ce soir à Hueté. Il a de la tête et du cœur et en viendra à son honneur, j’en suis certain.

— Et s’il y réussit, ces malheureux n’arriveront que pour être passés par les armes ?

— Nous autres militaires, nous obéissons et ne raisonnons pas.

— Égorger des prisonniers sans défense… un tel ordre…

— Est fâcheux, mais non déraisonnable. Ces ennemis-là, du moins, comme ceux que Votre Seigneurie a délivrés l’autre jour, n’iront pas rejoindre Yézid et les révoltés, que nous sommes chargés de combattre.

— Seigneur Mexia, vous ne prendrez pas sur vous une telle responsabilité, vous suspendrez l’exécution de cet ordre jusqu’à ce que j’en aie écrit à Sa Majesté. Je vous le demande, je vous en prie.

— Je suis désolé d’être obligé de refuser à Votre Seigneurie.

— Eh bien ! au nom du roi, je vous le défends.

— Et de quel droit ? s’écria le fier Castillan.

— Du droit que Sa Majesté m’a donné elle-même. Lisez plutôt !

Il lui remit l’ordre, écrit de la main de Philippe III, qui prescrivait à tous ceux qui le liraient d’obéir à frère Luis Alliaga.

Don Augustin se mordit les lèvres et répondit :

— J’ignore si l’autorité conférée au confesseur de Sa Majesté ne doit pas être limitée aux choses de l’Église et peut s’étendre jusque sur les officiers et soldats du roi, mais ce que je sais, c’est que les instructions que j’ai reçues sont signées, non-seulement du ministre, mais encore de mon souverain lui-même. Et dans le doute où me place ce conflit de pouvoirs et d’ordres contradictoires, je dois obéir d’abord à ceux qui m’ont été directement adressés.

En ce moment les cris redoublèrent ; des flambeaux brillèrent dans la rue et dans la cour de l’hôtellerie, dont le peuple venait de franchir les murs. Son intention évidente était de mettre le feu à la grange où les Maures étaient renfermés.


LXIX.

saint loyola et saint dominique.

Voici par quels moyens Escobar, après l’inutile tentative qu’il avait faite sur l’esprit de Piquillo, était parvenu à conclure une sorte de traité d’alliance entre sa compagnie et la sainte inquisition.

Pendant les dernières scènes que nous avons décrites, à la suite de son entrevue avec le jeune confesseur du roi, Escobar s’était d’abord tenu à l’écart, peu à peu il s’était éloigné du détachement de soldats qu’il avait rencontré en route, et descendait rapidement la montagne, pendant que les troupes du capitaine Diégo suivaient au contraire un mouvement ascensionnel.

Bientôt il les eut perdus de vue, à sa grande satisfaction.

Escobar plaçait trop haut l’esprit, l’adresse, la puissance du raisonnement et de l’argumentation pour estimer la force matérielle et brutale ; les questions qui se décidaient par l’épée lui semblaient indignes d’une nature intelligente, telle que la nôtre. Les animaux féroces ne savent qu’égorger ; l’homme seul sait tromper ! C’était là, selon lui, la preuve de sa supériorité morale et sa véritable mission.

Le révérend père arriva le soir même à Cuença, et s’informa du grand inquisiteur. Il n’était point à Valence, comme il le croyait, et le voyage qu’il avait à faire se trouvait abrégé. Sandoval s’était rendu au Val-Paraiso, dans l’habitation du Maure.

Les propositions que Delascar d’Albérique avait faites au ministre pour empêcher la publication de l’édit ; les régiments et la flotte qu’il avait promis d’entretenir ; les douze millions de réaux qu’il s’engageait à verser immédiatement dans les coffres de l’État et deux autres millions dans la caisse du duc de Lerma, tout cela annonçait des richesses immenses, qu’il fallait bien se garder de laisser sortir du royaume.

Le bruit courait que Delascar était parti avec ses trésors. Il n’en était rien.

Le vice-roi de Valence, le marquis de Cazarena, avait eu l’ordre de visiter soigneusement la tartane qui emportait la famille d’Albérique et n’avait rien trouvé.

Toute cette fortune était donc restée cachée dans quelqu’une des habitations du Maure. Les soupçons s’étaient dirigés tout naturellement sur le magnifique domaine de Val-Paraiso, demeure favorite du vieux négociant.

C’est dans cette idée que Sandoval s’y était transporté. Mais toutes ses recherches avaient été vaines.

Il avait bien trouvé une habitation royale, des tableaux des grands maîtres, des statues, des vases de bronze ou de marbre, des trésors comme objet d’art, mais de l’or ou de l’argent monnayé, il n’y en avait aucune trace.

D’Albérique et son fils connaissaient seuls le souterrain des rois maures, et la reine, fidèle à son serment, avait emporté avec elle ce secret dans la tombe. Ces trésors allaient donc être perdus.

Il en était à peu près de même dans toute l’Espagne.

Les Maures, avant de partir, avaient enfoui leurs richesses, aimant mieux, au risque de ne jamais les retrouver, les laisser au sein de la terre qu’aux mains de leurs persécuteurs.

Quelques-uns avaient trouvé moyen, par des banquiers juifs, de faire passer une partie de leur fortune en pays étranger. Les ambassadeurs de France et d’Angleterre avaient eux-mêmes reçu une masse énorme d’argent et de lettres de change, et malgré les menaces du duc de Lerma, qui parlait de saisir leurs malles, les