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piquillo alliaga.

ils ont brûlé toutes les propriétés appartenant aux Maures, à commencer par celle de votre père.

— Et vous l’avez souffert ?

— Je leur criais vainement : Prenez garde… et j’avais raison… car l’incendie, qui ne distingue rien, a gagné, et j’ai eu deux maisons de brûlées… moi ! et beaucoup d’excellents chrétiens. Puis le prélat, toujours la croix à la main, s’est dirigé vers l’Albarracin, entrainant sur son passage toute la population des campagnes, qui maintenant ravage tout, même des terres extrêmement catholiques, et je n’oserais conseiller à madame la duchesse d’essayer de se rendre au Val-Paraiso.

— Ne pouvez-vous donc nous protéger ?

— Je n’ai que mon zèle, mon dévouement… les ordres du roi et quelques alguazils, sur lesquels je n’oserais compter ; le peu de troupes réglées, de bons soldats que nous ayons, est sous les ordres de don Augustin de Mexia, qui en a grand besoin pour réduire les rebelles. Telle est la situation des choses, que j’ai désiré expliquer à madame la duchesse avant de la laisser débarquer, ce que franchement je n’oserais lui conseiller, ajouta-t-il en saluant de nouveau.

Aïxa réfléchit. Où chercher un asile ? où trouver un protecteur ? Elle ne pouvait ni n’osait s’adresser à Fernand d’Albayda. De ses deux frères, Yézid était dans les gorges de l’Albarracin, au milieu de son camp et de ses soldats ; Piquillo était à la cour près du roi, et tout disait à la fille de Delascar d’Albérique que ce n’était point là sa place. Elle pensa alors à la compagne, à l’amie de son enfance.

— J’irai près de Carmen, s’écria-t-elle ; c’est là que je dois vivre et mourir. Oui, je suis sûre de son cœur ; oui, la fille de don Juan d’Aguilar me recevra dans les murs de son couvent, moi et Juanita, et les pauvres filles qui m’accompagnent et que je dois défendre.

Le parti d’Aïxa était pris. Elle déclara au vice-roi qu’elle voulait se retirer à Pampelune, au couvent des Annonciades, dont Carmen d’Aguilar était l’abbesse.

La difficulté était de s’y rendre. Impossible de traverser ni le royaume de Valence, où l’on pillait, ni l’Albarracin, où l’on se battait ; sans compter que l’Aragon n’était pas déjà très-sûr, et le marquis de Cazarena, à qui le roi avait recommandé la duchesse de Santarem sur sa tête et sur sa place, était dans des angoisses dont Aïxa s’empressa de le tirer. Elle décida qu’elle ne descendrait pas de la caravelle la Vera-Cruz, et qu’elle continuerait une partie de sa route par mer.

— Si le seigneur don Lopez de Sylva, dit-elle avec un gracieux sourire, veut bien nous conduire jusqu’à Barcelone, nous y débarquerons, et nous traverserons toute la Catalogne.

— Qui est calme et paisible ! s’écria le vice-roi. Les Catalans, en général, et les habitants de Barcelone, en particulier, sont une population de négociants qui tiennent à faire fortune ; ils aiment le commerce, ils aiment les Mauresques…

— C’est bien, monsieur le marquis, dit la duchesse en l’interrompant, le seigneur don Lopez de Sylva mettra à la voile quand il le jugera convenable.

Le vice-roi avait salué une dernière fois et avait couru à son palais adresser à Sa Majesté le rapport détaillé de tout ce qu’il venait de faire pour le service du royaume et l’agrément de madame la duchesse de Santarem.

C’était cette lettre que le monarque venait de décacheter et de lire, pendant que le duc d’Uzède lui expliquait les mesures politiques qu’il comptait prendre contre les créatures et les amis du dernier ministre.

Le roi n’entendait rien, n’écoutait rien, il n’avait plus qu’une seule pensée. La duchesse de Santarem était au couvent des Annonciades à Pampelune, et toutes ses idées étaient désormais tournées vers cette province. C’était de toute l’Espagne et des Indes le seul point de son vaste empire qui l’intéressât maintenant.

Il interrompit le duc d’Uzède au milieu de sa proposition, à laquelle il n’avait pas prêté la moindre attention, et lui dit :

— Je suis entièrement de votre avis.

— Je vais en prendre note, répondit d’Uzède, et agir en conséquence. Rodrigue de Calderon sera arrêté dès aujourd’hui.

— Très-bien, dit le roi, qui ne l’avait pas écouté davantage. Mais à ces considérations j’en ajouterai une autre, la nécessité de maintenir une alliance, une étroite alliance avec la France.

Alliaga, qui lisait attentivement la lettre du vice-roi de Valence, s’arrêta à ces paroles de son souverain, tant il était surpris de voir le roi émettre de lui-même une intention ou une vue politique ; son étonnement cessa quand Sa Majesté continua et dit :

— On avait parlé dernièrement au conseil d’une entrevue entre moi et la régente de France, Marie de Médicis, entrevue qui devait avoir lieu à Pampelune.

— Votre Majesté avait désapprouvé cette idée, répondit le duc.

— J’avais tort ; c’est, pour l’entrevue des deux souverains, un lieu parfaitement choisi, sur les frontières de la France et de l’Espagne, et puis Pampelune est une ville très-agréable.

— Il y a une fort belle citadelle, dit le duc.

— Qui n’est pas encore terminée, répondit Alliaga.

— Et puis, il y a de fort beaux couvents, ajouta le roi, que je ne serais pas fâché de visiter. Il faut écrire à d’Épernon et au maréchal d’Ancre, ou plutôt à Éléonore Galigaï, pour que l’on parle à Sa Majesté la régente de France de cette entrevue. Nous entendons que cela s’arrange, et le plus tôt possible ; c’est vous, monsieur le duc, que nous chargeons de cette négociation. En attendant, Alliaga, nous partirons dès demain.

— Votre Majesté ne pense pas, répondit le duc, qu’il faut des mois entiers pour traiter avec la cour de France une pareille affaire, qui offrira sans doute des difficultés.

— Je n’en veux pas ! Nous partirons demain.

— Avant d’attendre la réponse de Marie de Médicis ?

— Quelle qu’elle soit, on peut toujours partir. Cela me donnera l’occasion de parcourir l’Aragon, la Navarre et même la Biscaye. Nous n’avons visité aucune de ces provinces depuis la première année de notre