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piquillo alliaga.

val, mon prédécesseur, massacré par ces mécréants et ces impies.

Don Augustin de Mexia, qui était meilleur général que casuiste, n’avait rien à répondre à ce pieux et terrible argument, et il s’inclina en signe d’assentiment.

— Pardon, mon père, répondit don Fernand d’Albayda, il y a quelque chose encore de plus sacré que la vengeance, c’est la foi jurée, et mes soldats et moi ne pouvons permettre qu’on y manque.

— Qu’est-ce à dire ? s’écria l’archevêque d’une voix terrible et en fronçant ses noirs sourcils.

— Je dis, mon père, que d’après la capitulation signée par moi, Yézid et ses soldats doivent avoir la vie sauve.

— Aux yeux du ciel, l’existence d’un hérétique n’est rien.

— Mais c’est quelque chose que l’honneur d’un soldat et que la parole d’un Espagnol. Je n’ai jusqu’ici jamais manqué à la mienne, et vous me permettrez, mon père, de ne pas commencer aujourd’hui.

— Non, je ne le permettrai pas ! s’écria le fougueux prélat. Qui veut arrêter le glaive de Dieu mérite d’en être frappé.

S’abandonnant alors à toute l’exaltation que lui donnait l’enthousiasme religieux, Ribeira se mit à prêcher les soldats de don Augustin et ceux mème de Fernand avec une conviction et une fureur si ardentes et si saintes que ces vieux guerriers, tremblants à sa voix, crurent entendre celle de Dieu même. Catholiques et Espagnols, ils devaient naturellement obéir au grand inquisiteur plutôt qu’à leur officier ; ils tombèrent à genoux en faisant le signe de la croix et demandèrent à Ribeira sa bénédiction et ses ordres.

Ses ordres furent d’arrêter non-seulement Yézid, mais Fernand d’Albayda, dont il demandait que la conduite fût sévèrement examinée, attendu que comme premier baron de Valence et intéressé à la conservation des Maures, il n’était pas impossible qu’il eût continué à entretenir des intelligences avec eux. Des rapports particuliers, transmis au saint-office, l’accusaient même d’avoir fait passer des vivres dans le camp des rebelles, ce qui constituerait le crime de trahison contre le roi et contre l’État.

Fernand allait donc être conduit dans les prisons de l’inquisition à Madrid. Quant aux autres prisonniers maures, au moment où l’ordre du roi était arrivé de suspendre les hostilités, les uns, envoyés à Valence, avaient déjà figuré dans un somptueux auto-da-fé, aux cris de joie et aux pieuses acclamations de la multitude ; les autres, au nombre desquels se trouvait Yézid, venaient d’arriver à Saragosse, où un pareil sort les attendait sans doute prochainement ; telles étaient les nouvelles que Pedralvi venait annoncer à Alliaga.

Quant à lui, compris par la bonté de Yézid dans le premier convoi de prisonniers dirigé sur le port des Alfaques, et qui maintenant devait voguer vers Marseille, il n’avait pas voulu quitter l’Espagne sans son maître. Il avait, d’ailleurs, disait-il, des serments à tenir ; il s’était donc échappé, avait pu, grâce à ce déguisement, se soustraire à toutes les recherches, et, sachant que Sa Majesté se rendait à Pampelune, il était accouru, certain de rencontrer Alliaga près du roi.

— Maintenant, lui dit-il, tu sais tout ; que faut-il faire pour sauver Yézid et nos frères, et ce généreux Fernand d’Albayda, qui nous a défendus au péril de ses jours ?

Les moments étaient précieux. Alliaga courut le soir même chez Sa Majesté, qui allait se mettre au lit, lui démontra combien les rigueurs de Ribeira étaient impolitiques, combien elles faisaient de tort au roi près de ses sujets et surtout près de la duchesse de Santarem, qui ne lui pardonnerait jamais la mort d’Yézid, son frère (dernier argument, qui n’était pas le moins puissant) ; que plus tard on aviserait au meilleur parti à prendre, mais que dans ce moment il fallait, avant tout, arrêter l’effusion du sang et empêcher un second auto-da-fé.

D’après l’avis d’Alliaga, le monarque écrivit donc de sa propre main au grand inquisiteur Ribeira qu’il approuvait fort son zèle pour la foi catholique, mais qu’il désirait qu’on ne brûlât plus personne sans son aveu, à lui, le roi ; qu’il entendait, en outre, que les prisonniers maures restassent, non dans les prisons, mais dans la citadelle de Saragosse, et qu’on amenât sur-le-champ à Pampelune, où il se rendait avec toute sa cour, le chef des Maures, Yézid d’Albérique, et don Fernand d’Albayda, sur le sort desquels le roi et son ministre se réservaient de prononcer, après avoir écouté les avis du pieux archevêque Ribeira, ce flambeau de la foi et la lumière de la sainte inquisition.

Un courrier partit à l’instant même, porteur de cette lettre, avec injonction de ne s’arrêter ni jour ni nuit qu’il ne fût arrivé à Saragosse, et le roi, qui ne signait rien et ne s’occupait jamais d’affaires d’État, après son souper, tout étourdi encore de ce qu’on venait de lui faire faire, se coucha étonné et ravi de son activité.

Don Ribeira fut moins enchanté en lisant la missive royale ; une sainte indignation s’empara de lui. Son visage, jaune d’ordinaire, car volontiers les dévots sont bilieux, son visage devint d’un rouge pourpre, et il eut besoin d’un violent effort sur lui-même pour ne point proférer contre le roi une de ces malédictions que réprouvent également la charité chrétienne et la fidélité de sujet. Il fallait cependant obéir. Il donna ordre, ainsi qu’on le lui prescrivait, de diriger don Fernand d’Albayda et Yézid sur Pampelune, mais il les y devança, et précéda même de quelques jours l’entrée du roi.

Sur toute sa route, il fut accueilli par la population des villes et des campagnes comme le saint de l’Espagne, comme l’apôtre de la foi, comme l’élu du Ciel, et chacun accourait pour toucher ses vêtements et lui demander sa bénédiction.

À Pampelune, il fut reçu dans le palais de l’inquisition avec les honneurs qu’on eût rendus, non pas au roi, mais au pape lui-même. Dès le jour même de son arrivée, et les jours suivants, il ne cessa de prêcher dans le cathédrale devant un immense concours de fidèles. Il avait le cœur trop ulcéré pour se modérer ; aussi, cédant à la fougue naturelle de son caractère, il ne put s’empêcher de tonner contre l’hérésie et surtout contre l’indul-