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piquillo alliaga.

seul, s’il le faut, tout ce peuple que je brave et qu’un mot de moi fera tomber à mes pieds ! À demain donc, mes frères.

— À demain, dit Alliaga en s’inclinant avec respect !

Alliaga, en sortant de la salle du conseil, rencontra dans la chapelle de Saint-Dominique la députation des notables de Pampelune, au nombre desquels brillaient l’hôtelier et son compère, attendant toujours la réponse de Ribeira.

Il la leur donna en peu de mots.

Le grand inquisiteur, décidé à défendre les droits du saint-office, ne consentait à aucune concession. Il refusait tout, n’accordait rien, et déclarait que le jugement prononcé par lui serait exécuté le lendemain.

Quelques heures après, cette nouvelle était déjà répandue dans toute la ville ; Ginès de Hila et Truxillo étaient maintenant partisans déclarés des fueros et péroraient sur la place du marché, Pedralvi, Gongarello et leurs affidés parcouraient les autres quartiers. L’exaspération était au comble, et, sans savoir encore au juste ce qu’il voulait faire, le peuple était décidé à demander et à obtenir satisfaction pour ses droits méconnus et violés.

De son côté, Ribeira s’apprêtait à la défense : tous les familiers du saint-office, tous les alguazils de la ville avaient été rassemblés par ses ordres. Le palais même de l’inquisition renfermait un grand amas de piques, de hallebardes et même d’escopettes, et le peuple n’avait pas d’armes.

Ce n’était pas là ce qui inquiétait Alliaga. Il savait bien que le peuple saurait s’en faire, et qu’une fois déchaîné il aurait bon marché de tous les alguazils de Pampelune, fussent-ils quatre fois plus nombreux.

La grande difficulté, c’était que le peuple osât s’attaquer à la procession, à l’inquisition et surtout à la bannière de Saint-Dominique. Il avait tellement l’habitude de se prosterner sur son passage, qu’il n’oserait jamais se lever contre elle. Il fallait l’entraîner et lui donner la première impulsion ; c’est de là que tout dépendait.

Gongarello, qui, placé sur une borne, pérorait volontiers, n’était bon que pour la tribune et non pour l’action ; Pedralvi et quelques amis qui l’entouraient étaient insuffisants pour commencer le mouvement ; en s’élançant seuls au milieu de la multitude, ils trahissaient leur faiblesse et leur petit nombre, et se seraient fait bien vite entourer et arrêter. Où leur trouver des alliés intrépides, autres que les bourgeois de Pampelune, des auxiliaires sans préjugés et sans peur, que n’effraieraient ni les robes noires de l’inquisition ni l’étendard de Saint-Dominique ? C’était là ce que cherchait Alliaga, car dans la singulière position où il se trouvait placé, ce qu’il craignait le plus, c’était de ne pas être attaqué le lendemain. Tout était perdu si le peuple respectait le pieux cortége dont il devait faire partie. Son seul espoir était dans la fureur de la multitude, dans le désordre et les dangers qui devaient en résulter pour lui, et à la faveur desquels il pourrait tenter de délivrer Yézid et Aïxa.

Seul et renfermé dans sa cellule, qui donnait sur les jardins de l’inquisition, il rêvait aux événements du lendemain, qu’il avait préparés de son mieux et dont l’issue lui paraissait encore bien douteuse. Ses yeux s’étaient arrêtés sur un moine de haute stature qui se promenait avec impatience dans une allée du jardin et semblait attendre quelqu’un ; circonstance en elle même fort indifférente et qui méritait peu d’exciter son attention, mais la figure de ce moine ne lui était pas inconnue.


LXXXV.

la veille d’une émeute.

C’était une physionomie assez originale pour qu’on ne l’oubliât pas, et après quelques instants de recherches, Alliaga se rappela cette espèce de bête brute, cet Indien à moitié Espagnol, Acalpuco, qui au village d’Aïgador faisait l’office de frère rédempteur, et déchirait, à coup de lanière, ceux que Ribeira avait résolu de convertir.

L’archevêque de Valence l’avait sans doute amené avec lui et l’avait attaché à l’inquisition. Acalpuco était monté en grade ainsi que son patron : Ce qui étonnait Alliaga, qui connaissait son caractère, c’est qu’il restât seul à se promener dans le jardin, quand les cloches de Saint-Dominique avaient appelé depuis longtemps tous les autres moines au réfectoire.

Il en découvrit bientôt le motif.

Un cavalier, enveloppé d’un manteau, s’avança mystérieusement, et de sa cellule, ou plutôt de l’observatoire où il voyait sans être vu, Alliaga reconnut cette fois, sur-le-champ, M. de Latorre, l’ancien valet de chambre du roi, qui parla bas au frère Acalpuco, lui remit un petit papier et disparut.

Quel rapport M. de Latorre avait-il avec ce moine dévoué à Ribeira ? Il pouvait être important de s’en assurer. Alliaga sortit à l’instant de sa cellule et se trouva sur le passage d’Acalpuco, qui revenait du jardinet se rendait dans les appartements du grand inquisiteur.

— Un mot, mon frère, lui dit Alliaga en découvrant le capuchon du moine et en s’assurant bien qu’il ne s’était pas trompé. Me reconnaissez-vous ?

— Est-il possible ! le seigneur Piquillo !

— Moi-même, à qui vous avez rendu autrefois d’importants services que je n’ai point oubliés, quand vous trompiez pour moi, et moyennant quelques réaux, le curé Romero et monseigneur Ribeira !

— Silence ! dit le moine avec un air d’effroi.

Alliaga vit avec plaisir qu’il était toujours aussi poltron.

— Je serais perdu si l’on entendait ce que vous dites là, car monseigneur le grand inquisiteur a toute confiance en moi.

— Depuis quand vos rapports sont-ils devenus si intimes ?

— Depuis un événement qui a suivi votre départ, un malheur qui devait vous atteindre, et qui, je ne sais comment, est retombé sur monseigneur, lequel, touché de mon désespoir, et voulant aussi s’assurer à jamais de ma discrétion, m’a donné une bonne place, près de lui, à l’inquisition.

— Laquelle ?