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piquillo alliaga.

Le comte da Santarem et la Géronima.

Nous avons vu leur arrivée devant l’hôtellerie de Buen Socorro et le commencement du siége ; mais pendant que se livrait le combat dont nous ignorons encore l’issue, et dont Piquillo ne se doutait pas, le pauvre garçon était resté dans l’extase, dans le ravissement.

Il pensait à son nouvel ami, au jeune Maure si distingué, si élégant, qui lui avait dit : Mon frère ! et qui, en lui frappant sur l’épaule, avait répété plusieurs fois : C’est bien ! Jamais il n’avait éprouvé de semblables émotions ; c’était une joie douce et intérieure ; c’était comme un rayon projeté sur lui-même, qui l’éclairait enfin et le guidait dans l’obscurité ; jusque-là il n’avait été honnête qu’au hasard et à l’aventure. En sauvant Juanita et son oncle, il n’avait obéi qu’à un instinct dont il ne se rendait pas compte ; mais c’était une bonne action, c’était bien, car l’inconnu l’avait dit !

Pedralvi n’avait été pour lui qu’un ami, un camarade ; l’inconnu lui paraissait bien plus… c’était comme un être supérieur, une divinité ! Aussi avait-il peine à se persuader que tout ce qu’il avait entendu n’était pas un songe. Il ne pouvait croire qu’il y eût désormais une main tutélaire qui se chargeât de le conduire et de le protéger… et pour mieux s’en convaincre alors, il pressait contre son cœur les tablettes que lui avait remises l’inconnu. Il est vrai (et seulement alors il y pensait) qu’il ne savait pas lire ; mais qu’importe, il s’adresserait à un autre, dès qu’il ferait jour et qu’il pourrait sortir de la forêt.

Accablé par toutes les fatigues de la journée et bercé des plus douces espérances, il choisit un endroit bien épais du bois, et, tenant son trésor serré dans ses mains, il s’endormit sur l’herbe en pensant à l’inconnu ! pendant que la fraicheur du soir, le frémissement du feuillage et le parfum d’une nuit d’été enivraient tous ses sens et faisaient passer devant lui les rêves les plus riants et les plus doux.

Le matin l’air était lourd et pesant. Tout annonçait une chaleur plus brûlante encore que celle de la veille ;