Aller au contenu

Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/107

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

qu’elle pûſt dire, il ne ſe rebutoit point, & il nous perſecutoit touſjours. Il avoit pourtant de l’eſprit : mais cette baſſe inclination qui regnoit dans ſon cœur, & qui faiſoit qu’il ne donnoit jamais rien qu’avec chagrin, & qu’il croyoit perdre le peu qu’il donnoit, eſtoit cauſe que l’on ne le pouvoit eſtimer. De plus, l’amitié que l’on avoit pour Abradate, augmentoit encore l’averſion que l’on avoit pour Mexaris : ſi bien qu’il n’eſtoit pas fort eſtrange que la Princeſſe n’aimaſt point un Prince que perſonne n’aimoit : & au contraire, on euſt eu raiſon de s’eſtonner, ſi elle euſt hai ou oublié Abradate, dont tout le monde luy parloit avec eſtime, & qu’elle sçavoit bien avoir pour elle une paſſion extréme. Auſſi vous puis-je aſſurer, qu’il ne fut ny haï ny oublié, pendant toute la guerre d’Epheſe, & toute celle de Myſie & de Phrygie : il eſt vray que la Renommée luy parla ſi avantageuſement de ſa valeur durant cette abſence, que l’on peut dire qu’il ne fut pas moins obligé de cette faveur à ſon propre courage, qu’à l’inclination que la Princeſſe avoit pour luy. Tant que cette guerre dura, Perinthe ne manqua pas d’eſcrire à la Princeſſe : bien eſt il vray que comme il eſtoit genereux, il ſe trouva un peu embarraſſé à luy obeïr : car le moyen de luy parler de tout ce qui ſe paſſoit à l’Armée, ſans luy rien dire de tant de belles actions qu’Abradate y faiſoit, auſſi bien que Cleandre qui s’y ſignala hautement ? & le moyen auſſi de loüer luy meſme ſon Rival, & de luy aider à conquerir le cœur de Panthée ? La voye qu’il prit fut pour l’ordinaire, de dire les choſes en general, ſans particulariſer les actions de perſonne : ſe contentant de dire que les Ennemis avoient eſté battus, & de narrer ſeulement les avantages de l’Armée :