Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/108

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comme preſuposant que la Princeſſe ne vouloit sçavoir les nouvelles, que par l’intereſt qu’elle avoit au bien de l’Eſtat. De ſorte qu’en tant de relations que la Princeſſe reçeut de Perinthe, le nom d’Abradate ne s’y trouva jamais qu’une ſeule fois : encore fut-ce malgré luy ; & voicy comment la choſe arriva. Deux ou trois jours apres la priſe d’Epheſe, Perinthe achevant d’eſcrire à Panthée, vit entrer Abradate dans ſa Chambre : & un moment apres, Cleandre y entra auſſi : qui sçachant que c’eſtoit luy qui mandoit toutes les nouvelles de l’Armée à la Princeſſe, luy dit que celuy qui devoit porter ſes paquets à Sardis, partiroit dans deux heures. Perinthe reſpondit à cela, qu’il n’avoit plus que deux mots à eſcrire : mais comme il eſtoit connu de tout le monde pour eſcrire fort agreablement, Abradate qui n’avoit jamais veû de Lettre de luy, & qui ne le ſoubçonnoit pas d’eſtre ſon Rival, luy dit que s’il n’y avoit rien dans celle qu’il eſcrivoit que le recit du Siege, il eſtoit ravy de la voir : ne doutant pas qu’il ne fuſt auſſi beau dans ſa relation, qu’il l’avoit eſté effectivement. Cleandre prenant la parole pour Perinthe, qui tarda un moment à reſpondre, luy dit que l’on ne pouvoit jamais mieux eſcrire que Perinthe eſcrivoit : & qu’ainſi ſa curioſité eſtoit juſte. D’abord Perinthe s’en deffendit avec modeſtie : mais voyant que Cleandre s’obſtinoit à vouloir qu’il leur monſtrast ce qu’il venoit d’eſcrire, il craignit que s’il ne le faiſoit pas, il ne creuſt qu’il n’avoit pas aſſez bien parlé de luy : de ſorte que cedant aux prieres de Cleandre, Abradare prit la Lettre de Perinthe, qui n’eſtoit pas achevée, & y leût à peu prés ces paroles.