Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/123

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Abradate. Un jour donc qu’il eſtoit chez la Princeſſe, & qu’elle connut qu’il l’importunoit eſtrangement, elle tourna la converſation avec tant d’adreſſe, qu’inſensiblement Mexaris luy meſme vint parler de prodigalité : & peu à peu elle pouſſa la choſe ſi loin, qu’il ſoutint que ce vice là eſtoit le plus grand de tous les vices. Pour moy, luy dit elle, je ne ſuis pas de voſtre opinion : ne m’eſtant pas poſſible de croire qu’un vice qui reſſemble à la vertu la plus heroïque de toutes, ne ſoit pas moindre que l’avarice. Quoy, interrompit Mexaris, vous mettriez la liberalité dans l’ame d’un Prince, devant la valeur & la prudence ! & vous voudriez qu’il fuſt pluſtost liberal, que ſage & courageux ! je ne sçay pas, luy dit elle, ſi je voudrois qu’il fuſt pluſtost liberal que vaillant & prudent : mais je sçay bien que je ne voudrois pas qu’il fuſt Prince s’il eſtoit avare. Il y a des gens, dit alors Mexaris, qui n’aiment la liberalité en autruy, que parce qu’ils ont l’ame mercenaire : il eſt vray, interrompit la Princeſſe, que cela ſe rencontre quelque fois : mais il eſt certain auſſi, que cela n’arrive pas touſjours ; & que cela n’eſt pas en Doraliſe, qui aſſurément eſt née fort genereuſe. La liberalité, & la generoſité, reprit il, ne ſont pas une meſme choſe : j’en tombe d’accord, dit Doraliſe, car je n’ignore pas qu’il y a des gens qui ont de la liberalité, qui ne ſont pas eſgalement genereux en toutes les autres actions de leur vie : mais je ſoutiens du moins, que qui n’eſt point liberal n’eſt point genereux. je dis bien encore d’avantage (adjouſta t’elle l’eſprit un peu aigry, de ce que Mexaris avoit dit) car je ſoustiens qu’un Prince qui ne poſſede point cette vertu,