n’en peut preſques poſſeder pas une : en effet, adjouſta t’elle, eſt— ce avoir de la bonté, que de voir cent honneſtes gens maltraitez de la Fortune ſans les aſſister ? eſt-ce eſtre prudent, que de ſe faire haïr, au lieu de s’aquerir mille ſerviteurs par des bienfaits ; eſt-ce eſtre grand Politique, que de ne s’aquerir pas des creatures, meſmes chez ſes Ennemis ? eſt-ce aimer la gloire, que d’aimer demeſurément ce que tant de Sages ont trouvé glorieux de meſpriser ? eſt-ce eſtre bon Amy, que d’eſtre toujours en eſtat de refuſer tout ce qu’on demande ? eſt-ce eſtre bon Maiſtre, que de ne recompencer pas ceux qui ſervent ? eſt-ce eſtre galant, que de n’eſtre pas toujours preſt à tout donner ? & eſt-ce enfin eſtre veritablement Prince, que d’eſtre avare ? eux, dis je, a qui il ne reſte que cette ſeule vertu, ne qui l’uſage les puiſſe mettre au deſſus des autres hommes. Car enfin (adjouſta t’elle, ſans donner loiſit à Mexaris de l’interrompre) je ne voy que cette venu toute ſeule, par où les Grands puiſſent raiſonablement s’eſlever au deſſus des autres : la valeur eſt quelquefois auſſi heroique dans l’ame d’un ſimple Soldat, que dans celle d’un Roy : la bonté peut eſtre le partage de tous les hommes, & meſme plus des Sujets que des Souverains : la prudence ne leur eſt pas non plus particuliere : on peut avoir de la ſagesse, & la mettre en pratique auſſi bien qu’eux : mais pour la liberalité, c’eſt aux Grands ſeulement que la gloire en eſt toute reſervée. C’eſt en vain, pourſuivit elle, que ceux qui n’ont rien à donner la poſſedent, puis qu’ils ne peuvent la faire paroiſtre avec eſclat : mais auſſi c’eſt en vain que les Grands ont la puiſſance de donner, s’il n’en ont pas la volonté. j’ay pourtant peine à croire, reprit Mexaris, que ce ſoit l’intention des Dieux, que les hommes à
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