Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/196

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faut que mon nom ſerve à cacher les faveurs que la Princeſſe que j’adore fait à mon Rival ! Ha non non, je ne le sçaurois endurer. En effet cette petite choſe, quoy que peu importante à la bien conſiderer, le choquoit d’une telle maniere, qu’il ne la pouvoit ſouffrir : & il luy ſembloit, tant l’amour inſpire de foibleſſe & de folie dans l’eſprit des plus honneſtes gens, qu’il n’euſt pas eſté ſi affligé, quand la Princeſſe auroit fait dire les meſmes choſes à Abradate ſous un autre nom que ſous le ſien. Cette bizarre penſée luy tint de telle ſorte au cœur, qu’il fit deſſein de me prier ſerieusement, d’obliger Doraliſe à n’employer plus ſon nom dans ſes Lettres : & pour cét effet, il vint le lendemain chez la Princeſſe : mais il y vint ſi melancolique & ſi changé, que Panthée croyant qu’il ſe trouvaſt mal, s’informa de ſa ſanté avec une bonté extréme : luy diſant qu’elle ne trouveroit nullement bon, que dans le temps qu’elle recouvroit la ſienne, il allaſt tomber malade ; & qu’elle pretendoit que comme il l’avoit amenée de Sardis à Claſomene, il la remenaſt auſſi de Claſomene à Sardis. Perinthe reçeut toutes ces marques d’amitié de la Princeſſe fort reſpectieusement : mais avec tant de triſtesse ſur le viſage, qu’il eſtoit aiſé de voir qu’il avoit quelque deſplaisir ſecret dans l’ame. Cependant comme nous nous cherchions tous deux ce jour là, nous nous trouvaſmes bien toſt l’un aupres de l’autre : il arriva meſme que la Princeſſe eſtant entrée dans ſon Cabinet avec Doraliſe & quelques Dames de Claſomene, nous demeuraſmes ſeuls Perinthe & moy, apuyez ſur des feneſtres qui donnoient ſur une Terraſſe baluſtrée, qui eſtoit à plein pied de cét Apartement : mais nous y demeuraſmes quelque temps ſans parler, cherchant