Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/215

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quoy que grande, ne fut pas plus forte que ſa raiſon. Creſus luy dit que celuy qui luy avoit aporté cette nouvelle, avoit une Lettre pour luy de la Reine ſa Mere : qui luy mandoit à luy en particulier, qu’elle trouvoit qu’il eſtoit à propos qu’il tardaſt encore à Sardis : juſques à ce que quatre des plus grands Seigneurs de ſon Royaume, qui devoient partir dans trois jours, fuſſent venus le prier au nom de tous ſes Peuples, d’aller prendre le Sceptre que le Roy ſon Pere luy avoit laiſſé : & qui dans les derniers momens de ſa vie, avoit teſmoigné ſe repentir de l’avoir exilé : & l’avoit declaré ſon legitime Succeſſeur : eſtant mort trois jours apres ſon Fils aiſné, qui ſeul avoit cauſé leur mauvaiſe intelligence. Apres avoir donc sçeu toutes ces choſes, Abradate ſe retira chez luy, l’eſprit remply de tant de penſées differentes, qu’il ne pouvoit dire luy meſme ce qu’il penſoit. Comme il eſtoit fort tard, cette nouvelle ne fut sçeue que de peu de monde ce ſoir là : mais le lendemain au matin, il n’y eut perſonne qui ne sçeuſt qu’Abradate eſtoit Roy de la Suſiane, & qui ne s’en reſjouïſt. Perinthe meſme en fut bien aiſe : parce qu’il s’imagina, pour ſe flatter, qu’Abradate ſeroit contraint de partir tout à l’heure : & que peut eſtre l’abſence & l’ambition le gueriroient elles de l’amour qu’il avoit pour la Princeſſe. Ainſi je penſe pouvoir dire, qu’elle eut moins de joye que Perinthe du bonheur d’Abradate, parce qu’elle craignit que le changement de la condition de ce Prince, n’en aportaſt en ſon cœur. Cependant, quoy que tout le monde ſe reſjouïſt de sçavoir qu’il eſtoit Roy, il ne falut pas laiſſer de luy aller faire une viſite de deüil ; & de s’affliger aveque luy de la meſme choſe, dont on ſe reſjouïſſoit hors de ſa preſence. Le Prince de Claſomene y fut, &