Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/22

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Panthée, quand je ſonge combien j’eſtois heureuſe à Suſe, apres avoir vaincu tous les obſtacles qui s’eſtoient oppoſez à mon bonheur, je ne croy pas poſſible de me revoir jamais comme je me ſuis veuë : c’eſt pourquoy je fais ce que je puis pour ne me ſouvenir plus de ce qui m’affligeroit encore davantage. Vous m’avez du moins promis, repliqua Araminte, que je sçauray toutes les douceurs, & toutes les infortunes de voſtre vie comme vous sçavez toutes celles de la mienne : il eſt vray que j’ay conſenty, reſpondit elle, que Pherenice vous les aprenne : ainſi voſtre curioſité ſera ſatisfaite, ſans remettre dans ma memoire, tant de choſes que je voudrois en pouvoir effacer entierement. Pourquoy donc (interrompit Cyrus, regardant la Princeſſe Araminte) ne vous eſtes vous point fait tenir parole ? Seigneur, reliqua t’elle, je n’en ay pas encore eu le temps : car ce n’a eſté que ce matin au retour du Temple, que la Reine m’a fait cette promeſſe. Il faut donc que je m’en aille, reprit il, de peur de differer l’effet d’une choſe que vous deſirez : car pour moy, adjouſta Cyrus, je n’oſerois demander la meſme grace. Ce n’eſt pas que de la façon dont j’ay oüy parler de la paſſion de l’illuſtre Abradate, je n’euſſe une forte envie d’en sçavoir les particularitez, afin de la comparer à la mienne : mais je sçay trop bien le reſpect que je dois à une Grande Princeſſe, principalement eſtant un peu avare de ſes ſecrets. Il eſt vray (reprit Panthée en ſouriant avec modeſtie) que je n’en ſuis pas fort liberale : mais Seigneur, cela n’empeſche pas que je ne conſente ſans repugnance, que vous sçachiez toute ma vie. Auſſi bien m’importe t’il en quelque ſorte, que vous n’ignoriez pas l’innocente paſſion qui regne encore dans le cœur d’Abradate & dans le mien : ainſi