Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/235

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ce qu’il diſoit. Apres cela, nous dit il, je m’aſſure que vous n’aurez pas l’inhumanité de vouloir que je vive davantage : mais ſi la Princeſſe vous le commandoit, luy diſmes nous, ne luy obeiriez vous pas ? ſi la Princeſſe, dit il, sçavoit ma paſſion, & qu’apres cela elle euſt la bonté ou la cruauté (car je ne sçay lequel de ces deux mots convient le mieux à ce que je dis) de vouloir que je fiſſe ce que je pourrois pour vivre, peut-eſtre aurois-je la force de luy obeïr, & de faire quelques efforts inutiles pour ne mourir point. Mais vous sçavez bien qu’elle ne sçait pas que je l’aime : je n’oſe meſme deſirer qu’elle le sçache : toutefois, adjouſta t’il, ſi vous croyez que quand je ſeray mort, elle le puiſſe aprendre ſans haïr ma memoire, je vous conjure de le luy dire : & de luy demander pardon, de ce que je n’auray pû me reſjouïr de ſon bonheur. Mais comme j’avois borné toutes mes eſperances à taſcher de faire en ſorte qu’elle n’aimaſt jamais rien. & que je les voy toutes renverſées : ne trouvez pas eſtrange ſi je vous dis, que je ne sçaurois ſouffrir la vie. je dis meſme plus, adjouſta t’il, car je penſe qu’il n’eſt guere moins neceſſaire que je meure, pour le repos de Panthée que pour le mien. Que sçay-je ſi je ſerois touſjours Maiſtre de mes tranſports & de ma paſſion ? je l’ay ſans doute eſté juſques icy ? mais je ne voyois pas Abradate heureux, & je ne voyois pas la Princeſſe en ſa poſſession. Il vaut donc bien mieux que je meure, que de troubler la felicité d’une perſonne qui ſeulement en n’aimant rien, euſt pû faire toute la mienne. Qui vit jamais, nous diſoit il, un plus pitoyable deſtin ? je ne voulois autre choſe pour eſtre content, ſinon que pas un de mes Rivaux ne le fuſt : & cependant je n’ay pû obtenir cét avantage