de la Fortune. je m’eſtois reſolu à cacher toute ma vie ma paſſion. j’avois obtenu de moy, de ne deſirer meſme pas d’eſtre aimé, & de me ſatisfaire de la ſeule eſtime de Panthée : mais quoy que je me fuſſe renfermé dans des bornes ſi eſtroites, que jamais nul autre Amant n’a eſté capable de faire une pareille choſe, il ſe trouve pourtant que j’ay encore trop deſiré : & qu’Abradate enfin va eſtre auſſi heureux que je ſuis miſerable. Du moins, luy dis-je, avez vous cette conſolation, de voir que vous ne pouvez vous pleindre ny de voſtre Rival, ny de la perſonne que vous aimez : ha Pherenice, s’eſcria t’il, ce que vous croyez qui me doit conſoler, eſt ce qui fait mon plus grand deſespoir ! eſtant certain que je ſerois bien moins à pleindre, ſi je me pleignois avec juſtice, de quelque autre que de moy. Mais puis que vous connoiſſez encore la raiſon, reprit Doraliſe, pour-quoy ne la ſuivez vous pas ? c’eſt parce, repliqua t’il, que je ſuis Eſclave ſans eſtre aveugle. Je voy ſans doute bien le chemin qu’il faudroit prendre, pour recouvrer ma liberté : mais les chaines qui m’attachent ſont trop fortes pour les pouvoir rompre : il n’y a que la mort ſeulement qui le puiſſe faire : c’eſt pourquoy ſi vous eſtes autant de mes Amies que je vous le croy, vous ne m’accuſerez plus, & ne me parlerez plus de vivre. j’ay pourtant une grace à vous demander (mous dit il, d’une maniere à attendrir le cœur le plus dur) que le vous conjure de ne me refuſer pas : c’eſt de trouver, s’il eſt poſſible, quelque pretexte pour faire en ſorte que l’adorable Panthée n’eſpouse du moins Abradate, que le lendemain de ma mort Le terme, adjouſta t’il, ne ſera pas bien long : car ſi je ne me trompe, je ne vivray pas encore quatre jours. l’euſſe auſſi fort ſouhaité, pourſuivit il, pouvoir
Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/236
Apparence