Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/240

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qu’il fut reſolu pour la contenter, que du moins toutes ſes Femmes iroient avec elle auſſi bien que nous. De vous repreſenter, Madame, comment cette viſite ſe paſſa, il me ſeroit impoſſible : & il ſuffit que je vous die que Perinthe penſa mourir vint fois durant qu’elle y fut. Tantoſt on luy voyoit une douleur exceſſive : un moment apres, quelques mouvemens de joye paroiſſoient dans ſes yeux tous mourans qu’ils eſtoient : un inſtant en ſuitte, le deſespoir s’emparoit de ſon eſprit, de ſorte qu’il n’entendoit preſques plus ce qu’on luy diſoit : mais apres tout, il demeura pourtant touſjours dans un profond reſpect. Il remercia la Princeſſe, de l’honneur qu’elle luy faiſoit : luy diſant qu’il n’avoit plus rien à faire qu’à mourir, puis qu’il avoit eu l’honneur de la voir. Et comme elle luy commanda abſolument de ſouffrir qu’on luy fiſt quelques remedes, il fut quelque temps ſans parler : puis tout d’un coup levant foiblement les yeux vers elle, Madame, luy dit il, ſi vous sçaviez ce que vous ſouhaitez pour moy, quand vous deſirez que je vive, vous ne le deſireriez pas. Car enfin Madame (adjouſta t’il avec une voix languiſſante) quand Doraliſe a crû que j’eſtois amoureux, elle ne ſe trompoit point : j’aimois, Madame, & je ne meurs aſſurément que parce que j’ay aimé. C’eſt pourquoy comme vous ne ſcavez pas tous mes malheurs, vous eſtes excuſable de ſouhaitter que je vive, parce que vous croyez que je puis encore vivre heureux. Voila Madame, tout ce que le reſpect que j’ay pour vous, me permet de vous dire de mes infortunes. Perinthe prononça ces dernieres paroles ſi foiblement, que l’on eut peur qu’il n’expiraſt : car la douleur le ſuffoqua de telle ſorte, qu’il en perdit la parole durant un demy quart d’