Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/241

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heure : mais comme il ne perdit ny la veuë, ny le jugement, il eut la conſolation de voir tomber quelques larmes des beaux yeux de la Princeſſe. Elle les cacha pourtant autant qu’elle pût : cependant ne pouvant pas demeurer plus longtemps en ce lieu là elle en ſortit : apres avoir ordonné que l’on fiſt venir non ſeulement les Medecins ordinaires de Perinthe. mais encore ceux de Creſus : qui tous enſemble, dirent qu’il eſtoit impoſſible de le ſauver, & qu’il mourroit infailliblement bientoſt. En effet, ſa vie ne fut plus guere longue : je penſe meſme que la veüe de la Princeſſe, que nous luy avions procurée comme un remede, acheva de le tüer : car il mourut la nuit ſuivante, ſi univerſellement regretté de tout le monde, que jamais perſonne ne le fut plus. La Princeſſe en fut ſi touchée, qu’elle n’eut pas peu de peine à cacher une partie de ſa douleur : dans la crainte qu’elle eut qu’Abradate ne s’imaginaſt qu’elle euſt sçeu quelque choſe de la paſſion de Perinthe, pluſtost qu’elle ne le luy avoit dit. Mais ce Prince la connoiſſoit trop bien, pour avoir une ſi injuſte penſée : c’eſt pourquoy il n’avoit garde de trouver eſtrange qu’elle regardaſt un homme, à qui elle avoit une obligation ſi ſensible, & qu’il regrettoit luy meſme. Ainſi le pauvre Perinthe eut l’avantage, d’eſtre pleuré de ſa Maiſtresse, & d’eſtre pleint de ſon Rival, auſſi bien que de ſon Maiſtre, qui le portant mieux l’avoit eſté viſiter durant ſon mal, & en avoit eu tous les ſoins imaginables. Sa mort meſme differa de quelque temps le mariage d’Abradate : car comme elle avoit ſensiblement touché Panthée, elle ſe trouva aſſez mal huits jour durant, pendant leſquels on sçeut que le Prince Mexaris eſtoit mort de ſes bleſſures & de ſes chagrins : de ſorte que nous priſmes