Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/279

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point Mazare qui tient Mandane captive ; ce n’eſt meſme pas trop le Roy de Pont : & Creſus eſt aſſurément celuy qui la tient priſonniere. Il eſt vray, interrompit Cyrus, mais ce ſont mes Rivaux qui l’ont miſe en ſa puiſſance : le Roy d’Aſſirie à commencé mes infortune, en l’enlevant de Themiſcire ; Mazare les a augmentées, en la faiſant partir de Sinope, que j’eſtois preſt de prendre, & en la faiſant ſortir de Babilone, dont j’allois eſtre le Maiſtre : mais le Roy de Pont les a achevées, en ne la ſauvant d’un n’aufrage, que pour la precipiter dans un abyſme de miſere. Il eſt vray que ſans m’en prendre à autruy, je dois m’en accuſer le premier : car enfin ſi Artamene euſt connu Philidaſpe, lors qu’il le rencontra dans ce Bois où il luy ſauva la vie, Mandane ſeroit en liberté ; le Roy de Pont ſeroit encore ſur le Throſne ; Mazare ne ſeroit point criminel ; & je ſerois le plus heureux de tous les hommes. Quoy qu’il en ſoit, adjouſta t’il, comme le paſſé ne ſe peut revoquer, il faut ne ſonger qu’au preſent & à l’avenir : & taſcher d’avoir du moins la ſatisfaction d’immoler quelqu’un de mes Rivaux, à ma fureur & à ma vangeance, auparavant que tous les malheurs dont je ſuis menacé me ſoient arrivez.

Ce Prince ne pût touteſfois ſi toſt executer ſon deſſein : parce que les Ennemis eſtant au de là d’une aſſez grande Riviere, il ne pouvoit pas aller à eux facilement : joint que faiſant faire encore quelques Chariots de guerre, qui n’eſtoient par achevez, il falut attendre quelque temps, devant que de rien entreprendre de conſiderable. Il ne ſe paſſoit pourtant point de jour, qu’il n’y euſt quelques rencontres, qui de part & d’autre entretenoient les Soldats dans un violent deſir de vaincre : car comme Creſus gardoit un Pont qui traverſoit la Riviere