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Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/278

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qui ont perdu la vie dans les Armées de mes Ennemis, en tant de Batailles que l’ay gagnées, ne reſſuscitent auſſi pour venir fortifier celle de Creſus ; & qu’en fin ceux que j’ay vaincus tant de fois, ne ſoient mes vainqueurs. En effet, le moyen de ne croire pas toutes choſes poſſibles, apres ce que je voy ? ne vis-je pas Mazare mourant dans la Cabane d’un Peſcheur, ou pluſtost ne le vis-je pas mort de mes propres yeux ? A peine entendis-je les triſtes paroles qu’il me dit, lors qu’il me donna l’Eſcharpe de ma Princeſſe, qui luy eſtoit demeurée entre les mains en faiſant n’aufrage avec elle, tant il avoit la voix foible & baſſe. Il ne pût meſme parler davantage : il perdit la parole, devant que je le quittaſſe : & on m’aſſura le lendemain qu’il eſtoit mort. Touteſfois Mazare eſt vivant ; Mazare eſt en meſme lieu que Mandane ; & combat pour un de ſes Rivaux. Qui vit jamais une pareille avanture ? encore ſi le Roy d’Aſſirie qu’il a trahi, sçavoit qu’il eſt à Sardis, il pourroit peut— eſtre trouver les voyes de sçavoir ce qu’il y fait, & de me l’aprendre un jour : mais les Dieux ont ſans doute reſolu de m’accabler de toutes ſortes de malheurs. J’avois du moins creû qu’il ne m’en pouvoit plus arriver, dont ils ne m’euſſent adverty : & que j’aurois l’avantage de n’eſtre point ſurpris. En effet, n’avois-je pas lieu de le croire ainſi ? Par l’Oracle du Roy d’Aſſirie, ils luy ont aſſurément fait eſperer la poſſession de Mandane : par celuy de Creſus, ils luy ont affirmativement promis la ruine de l’Empire, que ſelon les aparences je dois un jour poſſeder : & par la reſponce de la Sibille, ils m’ont annoncé la fin de ma vie. Cependant ils m’ont encore caché une partie de mes malheurs : puis qu’ils ne m’ont pas adverty que Mazare n’eſtoit point mort. Mais Seigneur, luy dit Chriſante, ce n’eſt preſentement