Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/284

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Il eſt pourtant certain que depuis quelques jours, il euſt falu avoir perdu la raiſon, pour ne s’apercevoir pas qu’il eſtoit amoureux d’elle : mais ce qu’il y a de conſtamment vray, eſt que l’on voyoit aiſément qu’il ne monſtroit pas ſa paſſion avec deſſein qu’on la connuſt. Cependant malgré toute ſa diſcretion, la Reine eſt de telle ſorte indignée contre luy, qu’elle ne peut ſouffrir ſa preſence : elle n’en ſera jamais importunée, reprit Cyrus, & je la ſatisferay ſi pleinement, qu’elle aura autant de ſujet de ſe loüer de moy, qu’elle en a de ſe pleindre d’Araſpe.

Apres cela Cyrus ſortit de cette Antichambre, & fut faire une petite viſite à la Princeſſe Araminte, durant que l’on cherchoit Araſpe, que l’on ne trouvoit en aucun lieu de ce Chaſteau. Car comme il avoit sçeu que Panthée avoit fait demander à Cyrus la permiſſion de l’aller trouver, il avoit bien creû que cette Princeſſe ſe pleindroit de luy : sçachant mieux le crime qu’il avoit commis, que Doraliſe & Pherenice ne le sçavoient : parce que par grandeur d’ame & par modeſtie, Panthée le leur avoit caché. Araſpe eſtoit donc en une peine extréme : touteſfois ne jugeant pas qu’il pûſt long temps eſviter la veuë de ce Prince, il ſe determina, & ſe reſolut de luy advoüer ſa faute, & d’avoir recours à ſa bonté. Il ſe preſenta donc à luy, mais avec tant de confuſion ſur le viſage, qu’il n’eſtoit preſque pas connoiſſable : Cyrus eſtoit alors dans une grande Gallerie, qui reſpondoit à la Chambre d’Araminthe, d’où il venoit de ſortir : mais Araſpe n’y fut pas pluſtost entré, que Cyrus faiſant ſigne qu’il vouloit eſtre ſeul aveque luy, chacun ſe retira, & luy laiſſa la liberté toute entiere de l’accuſer. Comme ce Prince aimoit Araſpe ; qu’il avoit beaucoup de diſposition à excuſer les