En effet, qui ne croiroit, à parler raiſonnablement, qu’un Prince amoureux qui tient la perſonne qu’il aime en ſa puiſſance, & qui a pourtant aſſez de vertu pour ſe repentir de l’avoir enlevée, & pour ſe reſoudre à la remettre en liberté, ne deuſt pas eſtre pluſtost recompenſé que puny ? Cependant le Prince Mazare fit naufrage ; il creût avoir cauſé la mort de la Princeſſe qu’il adoroit ; & il ſouffrit enfin plus que perſonne n’a jamais ſouffert. Auſſi penſa t’il bien pluſtost mourir, par la violence de ſon deſespoir, que par le naufrage qu’il avoit fait : & il n’eſt nullement douteux, qu’il ſeroit mort effectivement, ſi les Dieux par une rencontre prodigieuſe, ne luy euſſent envoyé du ſecours
Vous sçaurez donc, Madame, que le Maiſtre de la Cabane où l’illuſtre Artamene vit Mazare mourant, & où il reçeut de ſa main une magnifique Eſcharpe qui eſtoit à la Princeſſe Mandane, eſtant allé peſcher un peu auparavant que la tempeſte ſe fuſt levée, en avoit eſté accueilly ſi inopinément qu’il n’avoit pû regagner le bord : de ſorte qu’il avoit eſté contraint de laiſſer preſques aller ſa Barque au gré du vent, qui enfin l’avoit pouſſée au pied d’un Rocher qui s’eſleve dans la mer, & où un grand Vaiſſeau ſe ſeroit briſé : mais où ſa Barque qui eſtoit legere, aborda heureuſement. Si bien que ſe jettant ſur ce Rocher, & arreſtant ſa Barque avec un chable, il ſe reſolut de laiſſer paſſer l’orage en ce lieu là : & en effet il y demeura juſques à ce que la Tempeſte commençant de calmer, il vit un Vieillard qui tenoit une Planche, & qui s’en ſervant pour ſe ſoutenir ſur l’eau, taſchoit de gagner ce Rocher : mais il paroiſſoit ſi foible, & il en eſtoit encore ſi loin, qu’il y avoit aparence qu’il periroit, s’il n’alloit le ſecourir. La pitié agiſſant donc dans l’ame de ce Peſcheur, &