nous viſmes, que nous eſtions tous deux malheureux. que nous entraſmes en confidence dés le meſme jour : & liaſmes une amitié ſi forte, que nous nous promiſmes de ne nous ſe parer jamais. je ſuis pourtant preſt, interrompit Beleſis, de vous dégager de voſtre parole : n’eſtant pas juſte qu’aujourd’huy que la Princeſſe Mandane eſt vivante, vous demeuriez d’avantage attaché à la fortune d’un malheureux, qui ne peut jamais devenir meilleure qu’elle eſt. l’auray meſme cét advantage, pourſuivit il, que la fin de vos malheurs accourcira les miens : ne doutant point du tout que je ne meure bientoſt, dés que je ſeray privé de la douceur de voſtre entretien. Ha Beleſis, s’eſcria le Prince Mazare, vous ne connoiſſez pas encore toute la malignité de ma deſtinée, ſi vous croyez que je puiſſe eſtre heureux ? j’advoüe que ce m’eſt une conſolation extréme, de sçavoir que la Princeſſe Mandane n’eſt point morte, & qu’apres avoir eſté ſon Raviſſeur, je n’ay pas eſte ſon Bourreau : mais apres tout, ne pouvant ceſſer de l’aimer, & sçachant qu’il eſt abſolument impoſſible que je puiſſe jamais me retrouver ſeulement avec elle au point où je m’y ſuis veû, on peut dire que je n’ay fait que changer d’infortune. En effet, de quelque façon que je regarde la choſe, je me trouve touſjours le plus malheureux Prince du monde : car enfin comme c’eſt moy qui ſuis cauſe que cette Princeſſe eſt entre les mains du Roy de Pont ; qu’elle erre de Royaume en Royaume ; & que toute l’Aſie eſt en guerre ; je ſuis preſque aſſuré qu’il n’y a pas un moment au jour, où elle ne deteſte ma memoire : & où elle ne trouve du moins quelque conſolation, à penſer que les Dieux m’ont puny en me noyant. je dois meſme eſtre aſſuré, que ſi elle aprenoit que je ne ſuis
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