Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/370

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d’aller à Sardis, & nous eſtre mis en quelque équipage, nous partiſmes pour aller à cette magnifique Ville, où le Prince mon Maiſtre ne craignit pas d’eſtre connu : car encore que Creſus euſt autrefois eſté dans le Party du Roy d’Aſſirie auſſi bien que luy, ils ne s’eſtoient pourtant point veûs : tant parce que Creſus n’avoit point eſté à Babilone, que parce qu’il avoit en quelque façon touſjours eſté en un corps ſeparé. Ainſi il fut hardiment ſe preſenter à luy, pour luy offrir ſon ſervice : l’amour luy perſuadant que ce n’eſtoit pas directement choquer la generoſité, que de cacher le deſſein qu’il avoit delivrer Mandane, par des aſſurances de fidelité, où il ne vouloit manquer que pour elle ſeulement. Enfin il creût que comme on peut ſurprendre des Villes, & faire des ruſes de guerre innocemment, il pouvoit entreprendre ſans laſcheté, de delivrer Mandane par adreſſe, puis qu’il ne le pouvoit pas par la force. Pour s’aquerir donc quelque credit aupres de Creſus, il aporta ſoin à ſe faire connoiſtre pour ce qu’il eſt, c’eſt à dire pour avoir beaucoup d’eſprit, & meſme de capacité pour les choſes de la guerre : de ſorte que ſon deſſein reüſſissant, ce Prince le reçeut fort bien : & nous traitta auſſi Beleſis & moy, avec beaucoup de civilité : car pour nous déguiſer mieux, il ne paroiſſoit point qu’il y euſt de difference de condition entre nous. L’inclination de Creſus ne laiſſa pourtant pas de faire ce que nous ne faiſions point : puis qu’encore que Beleſis ſoit tres bien fait, & aye infiniment de l’eſprit, ce Prince aima mieux le pretendu Telephane que luy. Il eſt vray que comme il ne ſurmontoit ſa douleur, que par l’amitié qu’il avoit pour ce Prince, & que ce Prince ſurmontoit la ſienne, pour taſcher de delivrer ſa Maiſtresse, ils agiſſoient differemment : l’un s’empreſſant