Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/376

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non Orſane, je ne sçaurois eſtre ſensible à la joye, juſques à ce que j’aye reparé tous les crimes. Il m’a ſemblé, nous dit il, que dans le meſme temps que je la regardois, elle a ſouspiré : & que je voyois dans ſon cœur, que la juſte meſure de la haine qu’elle a pour moy, eſtoit celle de ſa douleur, l’ay donc veû dans ſon ame, adjouſta t’il, tant d’horreur pour la memoire de Mazare, que je me ſuis perſuadé, qu’elle s’en ſouvient touſjours malgré qu’elle en ait : & que cette haine renaiſt tous les jours dans ſon ame, à meſure qu’il luy arrive de nouvelles diſgraces. jugez apres cela, ſi j’ay pû voir cette divine Princeſſe avec une joye tranquile ; je ne voudrois pourtant pas, pourſuivit il, ne l’avoir point veuë, & ne l’avoir point veuë affligée : car enfin ma vertu eſtoit encore un peu foible & chancelante : & je ne sçay, ſi j’euſſe trouvé les voyes de delivrer Mandane, ſi je ne l’euſſe pas encore voulu delivrer pour moy. Mais aujourd’huy que j’ay veû ſes beaux yeux tous preſts à reſpandre des larmes, tant ils eſtoient melancoliques ; je ſuis Maiſtre de mon amour ; & je ne veux plus delivrer Mandane que pour elle meſme. Non imperieuſe paſſion, s’eſcrioit il, qui as fait tous les crimes de ma vie ; tu ne m’en feras plus commettre : ma vertu eſt preſentement plus forte que toy, & tu ne la pourras plus vaincre. Mais que dis-je ? reprenoit il un moment apres, ne donnons point à la Vertu, ce qui n’apartient qu’à l’Amour : & diſons, pour parler plus veritablement, que c’eſt parce que je ſuis parfaitement amoureux, que j’agiray comme je veux agir. Juſques icy, nous dit il, j’avois aimé Mandane pour l’amour de moy : mais je veux commencer de l’aimer pour l’amour d’elle ſeule. je ne sçay pas pourſuivit il, ſi je la pourray aimer ſans deſirs : mais je sçay