Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/381

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quelle voye pourrois-je ne l’eſtre pas ? En redonnant la liberté à Princeſſe que vous aimez, reſpondit il ; n’eſtant pas poſſible qu’elle ne vous eſtimast pas infiniment, ſi voſtre vertu avoit ſurmonté voſtre paſſion. Apres cela Seigneur, voſtre gloire s’épandroit par toute l’Aſie : tous vos Sujets ſe rebelleroient contre celuy qui a uſurpé voſtre Royaume : tous les Princes s’armeroient pour vous faire reconquerir voſtre Eſtat : & Cyrus meſme vous remettroit ſur le Throſne. Enfin Seigneur (adjouſta t’il, emporté par l’impetuoſité de la paſſion qui le faiſoit parler) je voudrois avoir fait une action ſemblable à celle que je vous conſeille, & eſtre meſme aſſuré de mourir le lendemain, tant je la trouve glorieuſe. Ha Telephane, s’eſcria le Roy de Pont, vous ne sçavez pas quelle eſt la paſſion que j’ay dans l’ame, quoy que vous ayez aimé ! L’Amour, adjouſta ce Prince, eſt grande ou petite, ſelon la beauté qui la fait naiſtre, ou ſelon la ſensibilité du cœur de celuy qui en eſt touché : c’eſt pourquoy tout le monde n’aime pas eſgalement. Mais Telephane, je ſuis le plus ſensible de tous les hommes, & Mandane eſt la plus belle & la plus parfaite Perſonne de la Terre : venez Telephane (luy dit il en le prenant par le bras, & luy voulant faire prendre le chemin de la Citadelle) venez voir ma juſtification ou mon excuſe, dans les beaux yeux de la Princeſſe que j’adore : car encore que je ne les voye jamais qu’irritez, ou du moins melancoliques, vous ne laiſſerez pas de connoiſtre qu’il eſt impoſſible de m’en priver, ſans mourir. Telephane fort ſurpris de la propoſition que le Roy de Pont luy faiſoit, en fut ſi interdit, que ſi ce Prince euſt eu l’eſprit libre, il s’en ſeroit apperçeu. Ce qui cauſoit ſon chagrin, eſtoit que quelque paſſion