Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/402

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nous menant encore juſques à la porte & nous y laiſſant, afin d’aller prendre garde que l’on ne nous peuſt deſcouvrir. Comme Marteſie eſtoit allée preparer la Princeſſe à recevoir un homme qui la vouloit delivrer ; & qu’elle luy avoit dit que c’eſtoit moy qui le luy conduiſois, elle chercha à s’imaginer quel pouvoit eſtre ce Liberateur : & j’ay sçeu depuis par Marteſie, qu’elle avoit creû que ce ne pouvoit eſtre que l’illuſtre Cyrus. De ſorte qu’ayant une extréme frayeur de penſer qu’il ſe fuſt mis en un ſi grand danger à ſa conſideration, elle n’avoit pas toute la joye qu’elle devoit avoir, de la liberté qu’on luy faiſoit eſperer. Apres cela, Madame, il vous eſt ce me ſemble aiſé de vous repreſenter quel fut l’eſtonnement de cette Princeſſe : lors qu’au lieu de voir entrer l’invincible Cyrus, dont elle avoit l’imagination toute remplie, elle vit à ſes pieds le Prince Mazare qu’elle croyoit mort. Elle ſe tourna alors avec precipitation vers Marteſie, comme pour luy demander ſi ce qu’elle voyoit eſtoit vray ? & pourquoy s’il l’eſtoit, elle l’avoit trompée ? Marteſie de ſon coſté, qui n’eſtoit pas moins ſurprise que la Princeſſe, me regardoit avec un eſtonnement ſi grand, qu’elle ne pouvoit me demander pourquoy je luy avois déguiſé la verité ? Cependant mon Maiſtre ne fut pas pluſtost à genoux aupres de Mandane, qui n’avoit pas la force de ſe lever, que luy adreſſant la parole ; Madame, luy dit il, vous voyez à vos pieds un homme reſſuscité : mais reſſuscité auſſi innocent qu’il eſtoit criminel, un quart d’heure devant que de faire naufrage avecque vous. C’eſt pourquoy je vous conjure de ne me traitter plus comme je meritois de l’eſtre, lors que j’eus l’injuſtice de vous enlever : puis que je ne ſuis plus