Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/503

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peut-eſtre plus que je ne dois : puis qu’enfin je ne penſe pas qu’il ſoit juſte de ſe rendre malheureux ſoy meſme, comme je m’en vay me le rendre, en diſant touſjours à Cleodore que je meurs d’amour pour elle, lors qu’il eſt vray que j’en meurs pour Leoniſe. Mais le moyen auſſi, reprenoit il, de rompre avec une Perſonne, qui m’a donné cent marques d affection ; & de qui meſme les caprices ſont des preuves de tendreſſe ? Le moyen dis-je, que j’oſe jamais luy faire sçavoir que je ſuis un inconſtant ? Mais le moyen auſſi que je feigne eternellement, & quel fruit puis-je eſperer de cette feinte ? Touteſfois, diſoit il, ſoit que je veüille faire effort pour remettre Cleodore dans mon cœur, & pour en chaſſer Leoniſe ; ou ſoit que je veüille ſuivre Leoniſe & abandonner Cleodore ; il faut touſjours preſentement que je me racommode avec cette derniere : car ſi je veux qu’elle reprenne ſa premiere place dans mon cœur, il faut bien que je me raproche de ſes beaux yeux, afin qu’ils y rallument la flame qui m’a bruſlé ſi long temps : & ſi je veux au contraire eſtre éclairé de ceux de Leoniſe, il faut encore que je me mette bien avec Cleodore, puis que je ne puis voir l’une ſans l’autre. Ainſi Beleſis ne sçachant s’il pourroit n’eſtre point inconſtant, ou s’il vouloit l’eſtre, ſi c’eſtoit pour tromper Cleodore ou pour l’apaiſer ; s’aprocha de cette belle Fille, avec une confuſion, qui fit un grand effet dans le cœur de cette Perſonne, qui n’en sçavoit pas la veritable cauſe : puis que bien loin de cela, elle attribuoit les divers changemens de ſon viſage à ſon repentir. Il luy demanda donc alors en tremblant, ſi ſa colere eſtoit paſſée ? Vous avez eſté ſi long temps à me le