Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/511

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du moins je vous devray toute ma felicité. Dittes moy donc ce que vous voulez que je face, reprit Hermogene, afin que je juge ſi je le dois : car voſtre raiſon eſt ce me ſemble ſi troublée, que je ne me dois pas fier à vous. Il faut, repliqua t’il, que vous feigniez d aimer Cleodore, & de devenir mon Rival : ce qui vous ſera fort aiſé, puis que vous venez de tomber d’accord, que pourveû que l’on n’ait jamais aimé celle à qui l’on parle d’amour, il n’eſt pas impoſſible de luy perſuader que l’on eſt amoureux d’elle, encore qu’on ne le ſoit point : c’eſt pourquoy je vous conjure de faire tout ce qu’il faut, pour perſuader à Cleodore, que vous eſtes ſon Amant. Mais quel avantage pretendez vous tirer de cette feinte ? reprit Hermogene ; je pretens, repliqua Beleſis, que vous faciez Cleodore inconſtante, comme Leoniſe m’a fait inconſtant : ou que du moins vous donniez un pretexte à mon inconſtance, en vivant avec elle de façon, que je puiſſe avoir lieu de l’accuſer de changement : & qu’elle ne puiſſe regarder le mien, que comme une ſuitte de celuy que je luy reprocheray. Croyez Beleſis, reprit Hermogene, que je ne feray point Cleodore inconſtante : & que tout ce que je puis, eſt de vous donner un mauvais pretexte texte de la quereller. Mais ſi elle vous eſt fidelle, comme le n’en doute point, & que tous les ſoins que j’aporteray à luy perſuader que je l aime, ne puiſſent eſbranler ſa conſtance, vous en ſerez plus criminel : je l’advoüe, repliqua Beleſis, mais je ne laiſſeray pas d’en eſtre moins malheureux. Car enfin il ſuffit que vos converſations me donnent un ſujet apparant de pleinte, pour m’excuſer quelque jours envers Cleodore : & pour luy perſuader, que l’amour de Leoniſe aura