Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/557

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elle fut juſques au bord de l’eau : & qui luy aida auſſi à en deſcendre, lors que toute la Compagnie eſtant arrivée dans une grande Prairie où il y a quantité de Saules le long de la Riviere, ſe mit à ſe promener à pied. Beleſis voyant donc qu’il ne pouvoit aider à marcher à Leoniſe, & voulant auſſi empeſcher Hermogene de donner la main à Cleodore, la luy preſenta : quoy que ce ne fuſt pas de l’air qu’il avoit accouſtumé de la luy donner, devant qu’il aimaſt Leoniſe. Comme Cleodore avoit eu quelque temps pour ſe remettre, elle ſe mit à luy parler avec beaucoup de civilité & de douceur : de ſorte que Beleſis ſe raſſurant, creut qu’Hermogene ne luy avoit encore rien dit contre luy ; ſi bien que ſe ſouvenant que par le diſcours de ſon Amy, il avoit connu que Cleodore l’aimoit touſjours cherement ; il ſentoit dans ſon ame un remords eſtrange, d’avoir trahy cette belle Perſonne. Ce n’eſt pas que de temps en temps, il ne tournaſt la teſte vers Leoniſe, pour voir comment Tiſias l’entretenoit : & l’on peut dire, que ſon cœur eſtoit cruellement déchiré. Cependant Cleodore qui avoit un deſſein caché, regla ſon pas de façon, que malgré que Beleſis en euſt, qui n’oſoit pas luy reſiſter, ny la preſſer d’aller plus viſte, elle ſe ſepara un peu de la Compagnie : prenant un petit ſentier plus prés de la Riviere, afin, diſoit elle, d’eſtre plus à l’ombre de Saules qui la bordoient. Apres avoir marché quelque temps ainſi, ſans que Cleodore teſmoignaſt avoir aucun chagrin dans l’eſprit : tout d’un coup levant ſon voile, & feignant de ſe regarder dans la Riviere qui eſtoit extrémement tranquile ; ha Beleſis, s’eſcria t’elle, je penſois que mon Miroir eſtoit fort mauvais ; quant je me trouve deſagreable depuis quelque temps : touteſfois je