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Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/80

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Cependant, j’ay fait toutes ces choſes, ſans avoir aucune eſperance, & ſans sçavoir preciſément quelle fin je me propoſois : j’ay touſjours bien sçeu que je ne ſerois pas aimé ; mais j’advoüe que j’ay auſſi touſjours eſperé que perſonne ne le ſeroit. Touteſfois je voy Abradate ſi aimable, que j’ay grand ſujet de craindre qu’il ne ſoit enfin aimé : & que je ne meure de deſespoir.

Voila donc, Madame ce que penſoient ces trois Amans de Panthée : qui de ſon coſté ne pût pas s’empeſcher de longer à Abradate. Car outre que je ſuis perſuadée, qu’elle s’en ſouvenoit par elle meſme : il eſt encore vray que Doraliſe & moy fuſmes plus de trois jours à ne luy parler d’autre choſe, & à exagerer eſgalement, l’avarice de Mexaris, & la liberalité d’Abradate. Pour moy (diſoit Doraliſe, une apreſdisnée qu’elle eſtoit chez la Princeſſe, où il n’y avoit encore perſonne) je sçay bien que ſi ce Prince n’eſtoit point amoureux, il ſeroit un peu moins liberal : mais, luy dis-je, quoy que vous donniez tout à l amour, il faut pourtant advoüer, que cette paſſion ne produit pas un ſi bon effet en Mexaris : ainſi il faut conclurre que l’amour ne donne pas aux hommes les vertus qu’ils n’ont point. Il eſt vray, dit Doraliſe, mais ſelon mon ſens, l’Amour fait dans l’ame de tous ceux qu’il poſſede, ce que le Soleil fait en tous les lieux qu’il eſchausse : car enfin le Soleil ne plante pas les Roſiers, mais il fait eſclorre les Roſes ; ainſi l’Amour ne donne pas ces premieres inclinations, mais il les fortifie & les fait paroiſtre : & je ne doute pas meſme que ſi Mexaris n’eſtoit point amoureux, il ne fuſt encore plus avare que nous ne le voyons. Il l’eſt à un ſi haut point, reprit la Princeſſe, que ſi je juge de ſa paſſion par ſa liralité, je ne la croiray pas fort grande.