Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/86

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lors qu’il donne quelque choſe, ſuplée à la petiteſſe de ſon preſent. Quand je vous accorderois ce que vous voulez, reprit la Princeſſe, & que j’advoüerois qu’il faudroit luy tenir conte de toutes les peines qu’il endure, je ne pourrois du moins pas empeſcher que dans le meſme temps que je me reſoudrois à luy en sçavoir quelque gré, je n’euſſe une eſtrange averſion pour luy. Mais le moyen Madame, repliqua Doraliſe, d’accorder la reconnoiſſance & l’averſion dans un meſme cœur ? Il n’eſt nullement impoſſible, reſpondit Panthée, car on peut reconnoiſtre le bien-fait, & meſpriser le bien-faicteur. Ces deux choſes ſon pourtant bien meſlées enſmble, repliqua t’elle, & je ne comprends pas comment on les peur ſeparer. Cependant il n’eſt pas juſte, adjouſta cette malicieuſe Fille, que celuy qui aime ſes Threſors plus que ſa vie, les aille deſpenser pour une ingrate : il eſt vray, reprit la Princeſſe, mais ils ne le ſeroit pas non plus, que j’euſſe beaucoup d’amitié, pour une perſonne qui me prefere dans ſon cœur tant de choſes indignes d’eſtre aimées aveque paſſion. Et à parler raiſonnablement, cettte peine & ces ſouffrances dont vous voulez que je tienne conte à cét avare, ſont une raiſon tres forte, de ne conſiderer pas ce qu’il donne. Au contraire, il faut regarder ſes preſens comme un eſchange qu’il veut faire ; & le conſiderer enfin comme un homme qui a un deſſein caché, & qui ne donne que pour recevoir. De grace Madame, interrompit Doraliſe, n’allons pas ſi avant dans le cœur d’un avare, car nous n’y trouverions rien de beau : mais accordez moy ſeulement, que la peine qu’il a en donnant, eſt une preuve plus forte de l’amour ou de l’amitié qu’il a dans le cœur, puis qu’il ſe peut reſoudre à donner ; que la