Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/112

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de vaincre ; & du quel il venoit de renverser l’Empire ; & sans qu’il eust paru aux yeux du monde, nul sujet de mescontentement de sa part, ny nul changement en sa fortune ? Aussi ne fust-ce pas sans peine, que les Chefs retindrent le Peuple, & les Soldats en leur devoir : & en les y retenant, ils agirent de telle sorte avec eux, qu’ils les laisserent dans la disposition qu’il faloit qu’ils fussent pour s’en pouvoir servir, en cas qu’il en fust besoin. Ils leur dirent seulement, qu’il faloit se donner patience, & qu’Artamene seroit bien tost delivré : qu’il ne faloit pas precipiter le secours qu’ils luy vouloient donner, de peur de rendre sa condition plus mauvaise : & meslant tousjours parmi cela, des loüanges d’Artamene ; ils empeschoient la revolte, & la fomentoient tout ensemble : ainsi sans atiedir leur affection, ils reprimoient seulement leur violence, qui n’estoit pas encore necessaire. Cependant tout le Camp & toute la Ville estoient en desordre : le Nom d’Artamene retentissoit par tout : Les Medes ; les Persans ; les Capadociens ; les Phrigiens ; les Hircaniens ; les Cadusiens ; les Paphlagoniens, & tant d’autres Nations differentes, dont cette grande Armée estoit composée, s’accordoient toutes en faveur d’Artamene : & faisant toutes son Eloge, chacun en sa langue & en sa maniere ; il n’y avoit presque pas un Capitaine en tout ce grand Corps, qui ne se vantast d’avoir reçeu quelque bien-fait de luy : ny presque pas un Soldat, qui ne publiast qu’il avoit l’honneur d’en estre connu. Enfin Artamene estoit le sujet de toutes leurs conversations : tous les Soldats vouloient quitter le Camp, pour aller apprendre à la Ville ce qui s’y passoit : & quelques uns des Habitans de la Ville alloient au Camp pour y