Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/144

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ou ne l’en levast : au lieu que la voyant mariée, & esloignée du Roy son mary ; il ne croyoit pas que rien peust troubler son repos. Il prevoyoit bien toutefois, que lors qu’il auroit retenu la Princesse sa Fille un temps considerable aupres de luy, & qu’elle voudroit s’en retourner, il seroit obligé, peut-estre, d’avoir la guerre contre la Perse, pour l’outrage fait à son Roy : mais il n’estoit rien qu’il n’apprehendast moins, que de voir Mandane en estat de pouvoir avoir un Fils. Ce ne furent donc que Festes & que resjoüissances à son arrivée dans la Cour : & veû le bon accueil qu’Astiage luy avoit fait ; elle creu avoir lieu d’esperer, que ce qu’elle avoit apprehendé n’arriveroit pas. Mais au milieu de tant de divertissemens, sa santé commença de s’altérer : & son visage donna des marques visibles, des incommoditez qu’elle sentoit. D’abord elle s’imagina que la fatigue du voyage ; le changement d’air, quoy qu’elle fust en celuy où elle estoit née ; & le déplaisir qu’elle sentoit de l’absence de son Mary, pouvoient luy causer cette indisposition : mais peu de jours apres, elle connut avec certitude, qu’elle estoit partie grosse de Perse : ce qui la troubla d’une telle façon, qu’elle en fut effectivement malade. Car elle s’imagina, qu’infailliblement le Roy son Pere ne luy permettroit pas de s’en aller en cét estat : & que si elle accouchoit d’un Fils à Ecbatane, le moindre mal qui luy pust arriver, seroit qu’en entrant dans le Berçeau, il entreroit dans les fers, & seroit mis en lieu, où elle n’en pourroit pas disposer. Elle apprehendoit mesme quelquefois, que le Roy son Mary ne l’accusast, de luy avoir caché l’humeur de son Pere : enfin tant de choses l’inquietoient, qu’elle avoit besoin de toute sa constrance, pour ne montrer qu’une partie de ses chagrins.