Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/167

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executer plus facilement que s’il eust eu un fils : estant certain que les Peuples aiment ordinairement mieux avoir un Roy qu’une Reine. De plus, Harpage estant refugié en Perse, & ayant autant d’intelligences dans ses Estats qu’il y en avoit, il estoit à croire que les choses n’en demeureroient pas là. Tant y a Seigneur, qu’Astiage craignant tout ; & prevoyant non seulement ce qui vray-semblablement pouvoit arriver, mais apprehendant encore les choses impossibles ; il se retrouva plus malheureux, qu’il n’avoit jamais esté. La Reine de Perse fut bien tost informée des inquietudes du Roy son Pere : car comme il avoit des Espions à Persepolis, elle avoit des amis à Ecbatane, qui l’en advertirent à l’heure mesme ; & qui en luy rendant cét office, luy causerent beaucoup de douleur. Elle me fit la grace de me descouvrir la crainte qu’elle avoit, qu’Astiage ne se laissast persuader par sa passion, de suivre quelque conseil violent : & de chercher les voyes de se deffaire du jeune Cyrus : car enfin l’exemple du passé luy faisant aprehender l’advenir, rendoit sa crainte bien fondée. Je la r’asseurois neantmoins, autant qu’il m’estoit possible : mais comme elle a beaucoup d’esprit, il n’estoit pas aisé de s’opposer absolument à son opinion : estant certain qu’il y avoit sujet d’aprehender qu’Astiage ne se portast aux dernieres extremitez, par quelque voye cachée, que nous ne pouvions pas prevoir precisément. Cependant la Reine m’ordonna de prendre garde de plus prés au Prince son Fils ; & de l’empescher d’aller à la Chasse autant que je le pourrois : sans pourtant luy apprendre la cause de ce changement : estant à croire, que si Astiage faisoit quelque entreprise contre sa