Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/171

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à quoy me serviroit cette disposition à faire de grandes choses ? Et s’il est vray que les Dieux ayent mis en moy, quelqu’une des qualitez necessaires, pour les actions peu communes ; ne suis-je pas le plus malheureux des hommes, de sembler estre destiné, à passer toute ma vie dans une oysiveté honteuse ; qui, si j’y demeurois tousjours, feroit douter au Siecle qui suivra le nostre, si Cyrus auroit esté ? Non non, Chrisante, je ne suis pas si heureux que vous pensez ; particulierement depuis le jour qu’Harpage me parla dans la Forest, j’ay souffert des choses qui vous seroient pitié si vous les sçaviez ; & que je vous diray, si vous me promettez de m’estre fidelle & de me servir. Seigneur, luy dis-je, je ne puis jamais manquer de fidelité, non pas mesme à mes ennemis : mais je ne puis non plus vous promettre de vous servir que dans les choses justes. Je n’en veux pas davantage, me dit il, & alors me regardant d’une façon toute propre à gagner le cœur des plus Barbares ; Mon cher Chrisante, poursuivit il, si vous sçaviez le martyre secret que j’ay souffert depuis long temps, je vous donnerois de la compassion. Car enfin, Harpage m’a proposé d’aller à la guerre, & je l’ay refusé. Vous en repentez vous, Seigneur ? luy dis-je en l’interrompant : Non, me dit il, mais cela n’empesche pas, que ce ne me soit une avanture bien fascheuse, de voir qu’apres tout, il y a un Homme au monde, qui m’a voulu porter à une chose difficile, sans que je l’aye acceptée. Et à n’en mentir pas, si j’avois suivy mon inclination, je n’aurois pas esté huit jours apres cette fascheuse avanture, sans aller chercher la guerre, en quelque endroit de l’Univers ; pour luy faire voir, que si je ne voulus pas faire celle qu’il me proposoit, ce fut parce que je la trouvay injuste, &