Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/172

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non pas parce qu’elle me parut dangereuse. Car qui sçait, me dit il, si Harpage dans le fond de son cœur, ne me soubçonne pas plustost de foiblesse, qu’il ne me louë de moderation ? Je suis dans un âge, où cette vertu peut estre raisonnablement suspecte ; & je ne seray jamais en repos, que je ne l’aye justifiée, par une autre dont à mon advis, la pratique est un peu plus perilleuse. Tant y a, me dit il, Chrisante, je suis las de mon oysiveté ; & je ne puis comprendre, pourquoy vous m’avez eslevé comme vous avez fait, pour ne vouloir exiger de moy que ce que je fais. L’on m’a dit dés que j’ay ouvert les yeux, qu’il faloit estre infatigable ; que la mollesse estoit un deffaut ; l’on m’a appris en suitte, que la valeur estoit une qualité essentiellement necessaire à un Prince : après l’on m’a enseigné comment il faloit combattre : & comment il faloit se servir d’un Arc, d’un Javelot, d’un Bouclier, & d’une Espée : Mais à quoy bon toutes ces choses, si je les laisse inutiles ? à quoy bon estre infatigable, si je passe toute ma vie, dans la tranquilité de la Cour ? à quoy bon estre nay avec quelque valeur, si je suis dans une paix continuelle ? à quoy bon avoir de l’adresse, si je n’ay à combatre que des Bestes, qui ne sçavent que ce que la Nature leur a enseigne ? Enfin Chrisante, (pour ne vous déguiser pas mes sentimens) en me disant tout ce que l’on m’a dit, & en m’aprenant tout ce que l’on m’a apris ; il me semble que l’on m’a assez authorisé pour achever de faire ce que j’ay resolu, aussi tost que j’en auray trouvé les moyens. Et que voulez vous faire ? luy dis-je ; Je veux, me respondit il, quitter la Cour ; m’en aller passer en Assirie ; & de là en Phrigie ; où l’on m’a dit qu’il y a guerre :