Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/173

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Et puis que vous voulez que je vous parle avec sincerité ; je veux m’instruire par les voyages ; je veux m’esprouver dans les occasions ; je veux me connoistre moy mesme ; & s’il est possible, je veux me faire connoistre à toute la Terre. Ce dessein est grand, luy respondis-je, & ne peut partir que d’une Ame toute noble : Mais, Seigneur, il ne faut pas l’executer legerement. Je ne sçay pas si je le pourray executer, me respondit il, car la Fortune a sa part à toutes choses : mais je sçay bien que je feray tout ce qui sera en mon pouvoir pour cela. Hé ! de grace, adjousta ce Prince, n’entreprenez pas de m’en destourner : car tout ce que vous pourriez me dire, seroit absolument inutile. Je sçay le respect que je dois au Roy & à la Reine ; & je sçay de plus, que j’ay une tendresse inconcevable pour l’un & pour l’autre ; mais apres tout, la gloire m’arrache d’aupres d’eux ; & soit que vous y consentiez, ou que vous n’y consentiez pas ; croyez mon cher Chrisante, que je trouveray les voyes de faire ce que je veux, ou que la mort sera le seul obstacle qui m’en pourra empescher. Cyrus prononça toutes ces paroles, avec une action si animée ; & avec tant de marques d’une veritable ardeur heroïque ; que je fus quelque temps à le considerer, sans pouvoir luy respondre. Ses yeux estoient plus brillans qu’à l’accoustumée ; son teint en estoit plus vermeil ; & il m’aparut quelque chose de si grand & de si divin en toute sa Personne, & quelque chose de si ferme en tous ses discours ; que je n’osay le contredire ouvertement. Je l’advouë, j’eus du respect pour cette Vertu naissante ; & je ne pûs me resoudre, de combattre ce que j’admirois. Enfin je luy demanday huit jours, pour songer à ce que j’avois à faire, ne voulant