Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/195

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de l’autre, combatoit encore contre ce genereux Grec, qu’il avoit entraisné dans la Mer, lors qu’il y estoit tombé ; & qui estant en mesme posture que luy, faisoit voir une chose, qui n’avoit jamais esté veuë. Artamene s’élançoit tousjours vers son Ennemy, avec un courage incroyable ; Mais comme ce Grec estoit plus avancé en âge que luy, beaucoup plus fort, & moins blessé, il resistoit mieux à la violence des vagues, qui tantost les separant ; tantost les rejoignant ; & tantost semblant les engloutir, & terminer leurs differents, en triomphant de tous les deux ; faisoient voir un spectacle au milieu des flots, qui n’avoit jamais eu de pareil sur la terre. Mais un moment apres, on les voyoit revenir sur l’eau, & se chercher des yeux, pour recommencer un combat si extraordinaire. Je vous laisse à penser, Seigneur, quel effet fit cette veüe dans mon cœur : car comme je n’estois blessé qu’au bras, quoy que je fusse si foible que je ne pouvois me remüer, à cause du sang que j’avois perdu, & que je perdois encore ; je ne laissois pas d’avoir l’usage de la veuë & de la raison.

Imaginez vous donc ce que je devins, lors que je vis cét excellent Prince en cét estat : je ne sçay pas quel estoit mon dessein ; mais je sçay bien que je taschay de me trainer, & que j’estois prest de me jetter dans la Mer pour aller à luy, si je l’eusse pû, lors que le fameux Corsaire, qui avoit esté charmé de la valeur d’Artamene, le voyant en ce peril, commanda à cinq ou six des siens, de se jetter dans son Esquif, & d’aller sauver mon cher Maistre. Ces hommes donc obeïssant au commandement qu’ils avoient reçeu, furent droit à Artamene ; & commandant à ce vaillant Grec, de la part de leur Amiral, de n’attaquer plus ce genereux Estranger ; il se