Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/206

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d’y demeurer. Voyant le Prince en cette resolution, je n’osay pas le presser davantage, de peur de faire prendre garde à nous : je demeuray donc aupres d’Artamene, qui malgré un evenement si surprenant, regarda Mandane avec tant d’attention ; qu’il ne vit ny la mort des Victimes, ny la fumée des Parfums : & il ne s’aperçeut de la fin de cette Ceremonie, que lors que le Roy & la Princesse sa fille s’en allerent. Il les suivit jusques hors du Temple : & je pense qu’il les auroit suivis jusques à un Chasteau qui n’est qu’à Six Stades de Sinope, où ils s’en alloient disner, si je ne l’en eusse empesché. Seigneur, luy dis-je en luy montrant nostre chemin, c’est par là qu’il faut aller à Sinope : Artamene sans me respondre, fit ce que je luy disois : Mais ce ne fut pas sans regarder le Chariot de la Princesse, le plus long temps qu’il luy fut possible : & sans tourner mesme encore plus d’une fois, la teste de ce costé là, quoy qu’il ne la peust plus voir. Enfin nous arrivasmes à la Maison où nous nous estions logez, pendant que l’on travailloit à remettre noste Vaisseau en estat de faire voile : mais nous y arrivasmes avec un changement bien considerable : car Artamene en partant pour aller au Temple, avoit commandé que l’on se hastast ; & à son retour il dit que l’on se hastoit trop ; & que ce n’estoit pas le moyen de pouvoir bien faire les choses. Il parla peu durant le disner, & mangea encore moins : pour moy, quoy que je l’eusse veû si attentif, à regarder la Princesse de Capadoce ; je ne l’avois au plus soubçonné que d’une assez forte disposition à l’aymer, si la Fortune l’eust attaché aupres d’elle : mais je n’avois pas creû qu’en si peu de temps une passion