Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/210

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la victoire à la Princesse de Capadoce : & d’abord qu’il retourna les yeux vers cette éclatante Rivale de Mandane, il la vit briller de tant d’appas, qu’il pensa ne les tourner plus vers la Princesse. Quoy, disoit il, je pourrois abandonner une Maistresse, qui ne manque jamais de recompenser ceux qui la suivent ! & de qui la servitude est si glorieuse, qu’elle ne donne pas moins que des Couronnes, & une immortelle renommée, à ceux qui luy sont fidelles. Qu’est devenu, disoit il, ce puissant desir d’estre connu de toute la Terre ? moy qui me veux cacher sous le faux Nom d’Artamene, & qui me veux ensevelir tout vivant, pour satisfaire mes Ennemis ? N’ay je quitté la Perse, que pour devenir Amant de la Princesse de Capadoce ? & n’ay-je cessé d’estre Cyrus, que pour estre l’Esclave d’une personne, qui fait des Sacrifices de rejoüissance pour ma mort ; & qui me repousseroit peut-estre de sa propre main dans le Tombeau, si elle m’en voyoit sortir ? Non non, disoit il, ne soyons pas assez foibles pour nous rendre si facilement : & ne soyons pas assez lasches, pour nous enchainer nous mesme. Souviens toy Artamene, adjoustoit il, combien de fois l’on t’a dit en Perse, que l’amour estoit une dangereuse passion : dispute luy donc, l’entrée de ton cœur, & ne souffre pas qu’elle en triomphe. Mais helas ! adjoustoit il tout d’un coup, que dis-je ? & que fais-je ? je parle de liberté, & je suis chargé de fers : je parle de regner, & je suis Esclave : je parle d’ambition, & je n’en ay plus d’autre que celle de pouvoir estre aimé de Mandane : je parle de gloire, & je ne la veux plus chercher qu’aux pieds de ma Princesse : Enfin, je sens bien que je ne suis plus à moy mesme ; &