Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/211

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

que c’est en vain que ma Raison se veut opposer à mon amour. Mes yeux m’ont trahi ; mon cœur m’a abandonné ; ma volonté a suivi Mandane ; tous mes desirs me portent vers cette adorable Personne ; toutes mes pensées sont pour elle ; je n’aime presque plus la vie, que par la seule esperance de l’employer à la servir ; & je sens mesme que ma Raison, toute revoltée qu’elle paroist estre contre mon cœur, commence de me parler pour ma Princesse. Elle me dit secretement, que cette belle passion est la plus noble Cause de toutes les actions heroïques : qu’elle a trouvé place dans le cœur de tous les Herois : que l’illustre Persée, le premier Roy de ma Race, s’en laissa vaincre tout vaillant qu’il estoit, d’abord qu’il eut veû son Andromede : que les Dieux mesmes s’y trouvent sensibles : qu’elle n’est lasche que dans le cœur des lasches : & qu’elle est heroïque dans l’ame de ceux qui sont veritablement genereux. Enfin elle me dit que Mandane estant la plus belle chose du monde, je suis excusable d’en estre amoureux : & n’osant pas m’avouër que j’en dois estre loüé ; elle m’assure du moins, que je n’en suis pas fort blasmable. Suivons donc, suivons cette amour, qui nous emporte malgré nous, & ne resistons pas davantage à une Ennemie que nous ne pourrions jamais vaincre : & que nous serions mesme bien marris d’avoir surmontée.

Apres une agitation d’esprit si violente, le Prince commençant de revenir sur ses pas ; & nous ayant joints Feraulas & moy, je le trouvay si changé, que j’en demeuray surpris : il paroissoit dans ses yeux beaucoup de tristesse : & je ne sçay quelle inquietude en toutes ses actions, qui commença de m’en donner à moy mesme.