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Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/212

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Seigneur, (luy dis-je en le separant un peu, des autres qui nous suivoient) j’ay peine à comprendre, d’où peut venir la melancolie, qui paroist sur vostre visage : car encore que les Sacrifices de remerciment que l’on fait icy pour vostre mort, ne soient pas une chose agreable ; neantmoins je ne juge pas qu’une Ame comme la vostre, soit capable de s’en laisser ébranler. Vous, dis-je, qui avez desja méprisé la mort plus d’une fois, sous la plus effroyable forme, où l’on la puisse rencontrer. Vous avez raison Chrisante, me dit il, de croire que cette rejoüissance publique de ma perte, ne fait pas ma douleur particuliere : car enfin je suis assuré, que toutes les fois que Cyrus voudra ressusciter, cette fausse joye de ses ennemis sera bien tost changée en une veritable affliction. Mais Chrisante, j’aurois bien d’autres choses à vous dire, si j’en avois la hardiesse ; mais je vous advouë que vostre sagesse me fait peur. Seigneur, luy dis-je, il faut estre si sage en l’âge où vous estes, pour apprehender la sagesse d’autruy, comme vous dites que vous faites ; que cela seul me persuade, que je n’ay rien à craindre de vous : & que cette sagesse dont vous parlez, n’aura rien à faire qu’à vous loüer, quand mesme vous m’aurez apris vos secrettes pensées. Je ne sçay pourtant, me dit il, si vous pourrez sçavoir que… A ces mots il fut impossible à Artamene d’achever ce qu’il vouloit dire : & cherchant à s’expliquer sans le pouvoir faire ; & changeant de couleur, & me regardant, avec un sous-ris accompagné d’un souspir ; devinez, me dit il, mon cher Chrisante, ce que je n’oserois vous apprendre : & ce que vous blasmerez sans doute, dés que vous l’aurez apris. Lors que j’entendis parler Artamene